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Mes Univers
8 décembre 2012

Le Manoir des Ombres, Neuvième Partie :

A

Mais revenons à ces instants où je quitte mon pupitre. Quand je souhaite échapper momentanément à mes travaux littéraires. Après avoir quitté mon écritoire et m’être faufilé jusqu’à la fenêtre, je franchis l’espace qui sépare celle-ci de la cheminée encastrée dans le prolongement du mur ; j’abandonne en chemin les tablettes qui y sont accrochées Cette dernière est constituée de pierres de taille ; ses rebords sont en marbre veiné. Ses ornements représentent des Croisés chevauchant sur leurs destriers, armes au poing, et prêts à en découdre avec les Sarrasins qui leur font face. Ses flancs montrent également deux hommes d’armes habillés d’armures du XIIIème siècle, le visage dissimulés derrière leurs heaumes, et s’appuyant chacun sur une épée à deux mains imposante. Quand je les regarde, ceux-ci me renvoient immédiatement au portrait de mon Père installé sur une des parois de la pièce précédente. Et je me dis qu’ils ont été sculptés afin de rappeler à l’occupant des lieux à quel point la période des Croisades est une époque importante dans l’Histoire de la Famille ; et plus particulièrement, dans le passé d’Anthëus.

Comment pourrais-je l’oublier d’ailleurs, alors que mes investigations me ramènent sans cesse vers cet épisode ? Tous les documents que j’ai consulté et en lien avec la biographie de notre Lignée montrent à quel point le Voyage de mon Père en Terre-Sainte a été primordial. Je suis d’ailleurs convaincu que sa participation au siège de Saint-Jean d’Acre a été un événement fondateur pour lui. En outre, les quelques indices que j’ai glané ici ou là à partir des années 1880, bien qu’ils soient assez minces, me font croire que les énigmes liées à notre Nom y trouvent une partie de leurs explications. Dans ce cas, pourquoi as t’il autant insisté pour qu’un des élèves de Botticelli exécute son portrait devant les murs de la forteresse prise d’assaut par les troupes d’Al-Ashraf ? Pourquoi insiste t’il régulièrement sur le fait qu’il est de notre devoir de se souvenir de ces instants où ses compagnons et lui ont dû fuir cette contrée ? Il nous le répète assez souvent lorsque nous sommes tous réunis autour de lui. Mes Frères, mes Sœurs et moi connaissons par cœur ses paroles à ce sujet. Et si j’avais le malheur de les négliger, la devanture de cette cheminée et son tableau auraient tôt fait de les ranimer.

Une flambée embrase en permanence le foyer de cette cheminée. Je dois en effet confesser que je suis quelqu’un de très frileux. Car en Eté aussi, elle reste allumée, et Edgard vient l’alimenter matin et soir.

D’un autre coté, il faut savoir que les façades de la pièce dans laquelle je me trouve sont très épaisses. Elles ont plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur pour certaines. Et durant la saison chaude, elles ne laissent que très peu passer la chaleur de l’exterieur. Par contre, l’Hiver, elles emprisonnent l’air glacé qui se propage ici par les couloirs qui mènent à mes Appartements. Puis, elles ne l’arrêtent pas lorsqu’il se glisse à l’intérieur de mon vestibule à chaque fois que quelqu’un en ouvre la porte. Je suppose que c’est pour cette raison que je n’ai que peu de visites durant cette période de l’année. Il n’y a bien qu’Ycäel que cela ne gène pas. Il vient me voir régulièrement pour m’emprunter des livres ou des périodiques. Il parcourt les rangées de ma Bibliothèque avec désinvolture et nonchalance, tout en frôlant leurs tranches avec détachement. En chemin, il s’empare des titres qui l’intéressent. Puis, une fois les bras chargés, il me dit merci et me souhaite bon courage pour l’avancée de mes recherches. De temps en temps, il me lance : « Tu n’a pas fini, avec tous les cadavres que la Famille cache dans ses placards. ». Et il s’éloigne à grandes enjambées, avant que je n’aie eu l’occasion de lui répondre ou d’inspecter les intitulés des ouvrages qu’il m’a « empruntés ».

Ycäel sait parfaitement à quel point je chéris mes livres ; à quel point ils me sont précieux. Il n’ignore pas que je peux en avoir besoin afin de mettre au jour un renseignement utile à la poursuite de mes travaux. Mais il ne s’embarrasse pas de ces détails. Il se les approprie comme s’ils lui appartenaient. Et il feint de s’excuser ou se répand en justifications plus maladroites les unes que les autres dans le but de montrer sa bonne foi.

Evidemment, il n’est pas idiot, et il sait très bien que malgré ses simagrées, il ne me trompe pas. Je sais aussi qu’il recommencera. Malgré tout, cette attitude est tout à fait caractéristique de mon Frère, et j’eau beau lui répéter que son comportement m’est infiniment désagréable, il ne m’écoute pas. Mais qui Ycäel écoute t’il, j’aimerai bien le savoir ? Même Anthëus a du mal à lui imposer ses décisions lorsque celle-ci le concernent personnellement.

Le fronton de la cheminée est décoré des armes familiales ; cette fameuse Hydre à sept tètes dont les yeux vermeils étincellent. Comme sur le pommeau de ma canne, son corps aux écailles d’or veinées d’argent est replié sur lui même, sa queue disparaît au-dessous de sa masse musculaire, et ses ailes semblent frémir d’impatience. Quand je suis installé dans le fauteuil de cuir usé qui trône devant l’habitacle, des dizaines de livres s’entassant à coté de moi sur le guéridon qui l’accompagne, je prends plaisir à le contempler quelquefois.

Pourtant, il est rare que je pose les yeux sur l’emblème de notre Famille quand je me dirige vers ma Bibliothèque afin de me délasser de mes recherches. Non ! Autant j’apprécie de jeter un regard en direction de mes figurines. Autant, le blason des Montferrand me laisse indifférent à ce moment là. Je suppose que la fatigue intellectuelle doit y être pour quelque chose. En tout cas, je laisse ce dernier derrière moi sans regrets. Je n’hésite cependant pas à fixer un instant le mur opposé de ma salle de travail. Celui-ci est entièrement recouvert d’étagères sur lesquelles sont classés les livres d’Occultisme et de Mythologie que j’utilise le plus fréquemment. Mon attention se reporte ensuite sur le tapis Guinéen que m’a offert Chÿlderic au retour de l’une de ses odyssées Africaine. Lorsqu’il me l’a remis, il m’a dit qu’il datait du Xème siècle et qu’il en avait fait l’acquisition à l’occasion d’une cérémonie Bantoue en plein désert. Je veux bien le croire, car il est davantage au fait de l’Histoire du Continent Noir que moi. Je suis les montagnes de traités, d’opuscules et de feuillets volants qui parsèment ses franges. Ses entrelacs et ses dessins aux couleurs vives sont dissimulées par les centaines – les milliers peut-être – d’imprimés qui s’étalent des abords des étagères aux contours de ma table de travail. Des publications de toutes sortes s’y superposent ; elles forment des empilements disparates. Avec la pénombre ambiante uniquement éclairée par les flammes de la cheminée, elles ressemblent à des masses informes. Les quelques lampes à pétrole accrochées aux encoignures de la salle ne parviennent pas à éclairer les espaces restés libres entre elles. Celle trônant à l’angle de mon bureau dispense tout juste assez de luminosité pour que je puisse lire et écrire correctement.

Il est vrai qu’Anthëus n’a jamais voulu faire installer l’électricité au Manoir. Il a toujours estimé que le désir de confort moderne était une faiblesse humaine à laquelle il ne voulait pas se soumettre. Il pense aujourd’hui encore que c’est une marque de décadence à ne pas encourager ; du moins au Domaine Montferrand.

Pour une fois, je suis d’accord ave lui. Mais combien de fois Vÿvien m’a reproché le manque de clarté à cet endroit. Elle est persuadée que je vais m’y user la vue. Elle n’a pas forcément tort. Mais je n’oserai pas l’avouer devant elle. Ce serait une marque de faiblesse que je ne souhaite pas montrer, ni à mes Parents, ni à mes Frères et mes Sœurs. Ils me considèrent déjà comme le plus fragile et le faible de la Maisonnée. Ce serait leur donner raison. Et cela, je ne le tolérerai pas !

Pourtant, je ne pourrai énumérer le nombre de fois où je me suis pris les pieds dans ces amoncellements. Bien sûr, de petits sentiers existent entre chaque échafaudage. Hélas, je ne suis pas quelqu’un d’adroit, et je ne manque jamais une occasion de me cogner contre ces montagnes indistinctes. Parfois, quand j’ai de la chance, elles s’écroulent sur elles mêmes et les livres qui les composaient jusqu’alors se retrouvent éparpillées. D’autres fois, lorsque ce n’est pas le cas, elles chutent et heurtent le pied qui les a effleurés. Ou, plus rarement toutefois, elles me déséquilibrent, me font basculer en avant, et je m’affale à terre. Et je peine à me relever parce que j’ai de la difficulté à prendre appui sur les assemblages voisins.  

Là encore, ça ne m’a jamais servi de leçon jusqu'à maintenant, et tandis que je progresse vers l’escalier de fer en colimaçon qui apparaît à l’angle Sud de mon Antre, je zigzague entre les tas. Une dizaine de pas plus tard, je l’atteins. Je vois la porte de ma chambre non loin de là. Je gravis les échelons les uns après les autres. Je gagne le palier supérieur de la pièce ; il ouvre le chemin de la balustrade qui en fait le tour. Et je me mets à fouler le sol du balcon, tout en m’agrippant fermement à sa balustrade. 

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