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Mes Univers
9 avril 2016

autobiographie, pages 92 à 94 / 314

X1Non, la mort dans l'âme, j'avais mille fois préféré enfouir mon penchant pour elle dans les régions les plus reculées et les plus intimes de mon esprit. Tout, plutôt que d'affronter les déchirements et les orages que ces aveux déclencheraient immanquablement.

 

Pourtant, les femmes et leurs attraits ne me laissaient pas indifférent, loin de là. Et si j'avais dissimulé ces « Lui » ou ces « Play-boys » dans les enfonçures de cette armoire, c'en était la raison principale. Je grandissais, mon anatomie évoluait, et j'étais avide de découvrir cet univers dont elles étaient la clef de voûte.

 

Ces périodiques, je les avais exhumé par hasard. C'est mon grand-père qui les consultait. Non pas pour y « reluquer » les créatures de rêve y affichant leurs trésors les plus affriolants. Il s’intéressait davantage aux articles sur l'actualité, aux documents évoquant faits de société, ou aux reportages dénonçant les conflits situés à l'autre bout de la planète. Arrimé à la table de la cuisine coté rue, il les décryptait. Appuyé contre le radiateur, les jambes plaquées contre le banc accolé à lui, les coudes sur la table disposée dans la concavité de cette même cuisine, il les analysait. Sans se presser, la revue étalée devant lui, il scrutait leurs paragraphes. Il épiait leurs photos montrant la dureté de cette autre réalité. Se délassant dans l'un des deux fauteuils agencés devant la monumentale cheminée de cette pièce, il les étudiait avec soin. Alors que la neige s'abattait avec violence, alors que le vent soufflait en rafales, alors que le ciel d'un gris tendant vers le noir, se dessinait au travers de la vitre, un feu d'enfer y était allumé. Le silence régnait, seulement bercé par les pages qu'il tournait, et par les pas de ma grand-mère s'activant auprès de lui ; ou assise sur l'autre siège à dépouiller ses propres brochures.

 

C'est ainsi que j'aime à me souvenir de mes grands-parents : dans leur cuisine. Calmes, apaisés, sereins, les heures s'écoulaient tranquillement autour d'eux. Un mètre de neige ou plus se matérialisaient au dehors. Les flocons si denses empêchaient parfois d'observer correctement les contours de la maison attenante tellement ils étaient drus. Comme si, à part le tic-tac de l'horloge comtoise qui égrainait les minutes et sonnait tous les quart d'heure, le reste du monde les avait oublié. Comme si, si ce n'est le décorum constitué des blason en sapin aux armes de la Franche-Comté plaqué au-dessus du foyer, si ce n'est la porte menant à la cave, si ce n'est la cuisinière et le frigidaire ronflant doucement, tout le reste n'existait plus. Rien que cet endroit, mon grand-père, ma grand-mère, et nous.

 

Puis, quand il avait fini de les examiner, il les enfermait à la grange. Il les entassait dans un bahut où étaient également disséminés de vieux romans d'OSS 117. Il les empilait parmi les cahiers d'écolier de ma mère, les registres ou les carnets de notes de celle-ci. Puis, il les y laissait, jusqu’à les effacer de sa mémoire. C'est là qu'un jour où je déambulais dans le grenier sans aucune raison particulière, que je les y ai aperçu.

 

Car ces gigantesques combles s'étendaient sur toute la surface du premier étage de notre demeure. Elles étaient un territoire presque totalement vide auquel, épisodiquement, je prenais plaisir à rendre visite. En Été, c'était très facile. Les portes étaient souvent ouvertes. A cette époque, il n'y avait pas encore d'escalier dans les anciennes écuries pour y aller. Il fallait alors s'engouffrer dans le garage où étaient positionnées les deux automobiles familiales. Il fallait atteindre le muret au bout de l'abri au sol de pierre qui le continuait. Il fallait le gravir, se déplacer sur le talus qui, d'un coté menait à l'angle de notre prairie d'où s’élançaient fourrés et arbres, et qui de l'autre, attaquait des rondins précédant son issue. Elles se déployaient presque à l'infini. Et enfin, il fallait se hisser jusqu’à son seuil.

 

Quand on y entrait, c'est comme si on investissait le transept d'une cathédrale. Ses dimensions étaient tellement gigantesques qu'on semblait insignifiant. Tout y était à une autre échelle. Les lattes qui recouvraient son plancher s'épandaient à perte de vue. Le véhicule « Aronde » des années cinquante qui y dormait était entièrement recouvert de poussière. Tout le long de l'une de ses parois se superposaient des milliers de tuiles. Je n'ai jamais su pourquoi elles étaient là. Tout le long de la paroi lui faisant face se succédaient une série de carreaux. En Été, ma grand-mère les déverrouillait. Elle arrosait les jardinières entreposés sur leurs rebords. La chaleur y était parfois étouffante, mais en Hiver, le froid y était soutenu. Par contre, quelle que soit le moment de l'année où on y allait, quand le Soleil inondait la dizaine de carreaux qui s'y profilaient, c'était extraordinaire : des faisceaux incandescents y affluaient. Ils glissaient sur les boiseries noueuses collées partout. Des particules poudreuses voletaient dans les airs, avant de se dissoudre. Une fois encore, c'était comme si les secondes, les minutes, les heures, s'étaient volatilisées pour laisser place à un segment d’Éternité que l'on ne voudrait jamais voir mourir.

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