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Mes Univers
10 juin 2016

Tel qu'en moi-même

X3C'est terrible, ce que je vais dire. Mais je n'ai jamais aimé mon corps. Autant ce que mon âme, mon esprit, mon intelligence, ma sensibilité, mes émotions – y compris lorsque ces dernières sont exacerbées – me transportent. Autant elles m'enrichissent, autant me passionnent ou me fascinent. Autant elles m'exaltent, m'illuminent, m'ouvrent des portes qui dépassent largement les frontières de mon imagination. Autant elles sont le centre de connaissances diverses et variées riches de mes lectures, de mes expériences, de mes rencontres, de mes voyages. Autant je suis capable de les modeler, de les développer, de les élever vers des sommets vertigineux, ou de les voir chuter au tréfonds d'abysses frôlant les confins de la folie et du désespoir. Autant mon corps, lui, ne m'a apporté que souffrances, solitudes, été l'objet de moqueries, de rejets, de blessures, d'humiliation, ou de frustrations.

 

Evidemment, je suis parfaitement conscient qu'il y a des personnes bien plus handicapées que moi. Qui ne peuvent bouger de leurs fauteuils-roulants, de leurs lits, qui sont de véritables « légumes », défigurés, mutilés, etc. Il y a toujours pire que soi. Dois-je m'en réjouir, en être heureux pour autant ? Certainement pas. Comme je l'ai déjà expliqué dans l'un de mes textes personnels les plus récents, à chaque fois que je suis confronté à des gens qui sont dans des situations pires que la mienne. Et à cet instant précis, c'est comme si je prenais sur moi une partie de ce qu'ils éprouvent, de ce qu'ils ressentent au plus profond de leur chair et de leur esprit dénaturé. Mon empathie pour eux est immédiatement exaltée. Comme si, tout à coup, une vague immense à laquelle j'étais incapable d'échapper, m'emportais ; et me faisais supporter un fragment plus ou moins grand de ce qu'ils vivaient. Quand j'y pense, d'ailleurs, je peux bien avouer que ce phénomène est particulièrement épuisant, exténuant. J'en ressors à chaque fois essoré, lessivé. Comme si j'avais été passé à la moulinette émotionnellement.

 

Mais je n'y peux rien. Je suis conne cela. Cela fait partie de ma personnalité, et je suis incapable de le refouler, de l'éloigner de ma conscience lorsque j'y suis confronté. Toutefois, je parviens toujours plus ou moins à m'y adapter. Mieux encore, c'est un moteur qui transcende l'homme que je suis ; mon envie de me dépasser, d'aller toujours plus loin spirituellement, vis-à-vis de savoirs que je découvre journellement, ou vis-à-vis de mes questionnement intellectuels, philosophiques, ou humains. Comme, enfin, il galvanise mes imaginaires. Comme ils me transportent sur des chemins me conduisant à des mondes fabuleux. A des univers si différents et si nombreux qui sont enchaînés mes spéculations narratives, que je retranscris au travers de mes poèmes, de mes nouvelles, ou de mes odes fantasmées.

 

Pour autant, mon corps, lui, se manifeste quotidiennement à moi de manière différente. Il me rappelle combien je suis destiné à souffrir parce qu'il ne correspond pas aux normes en vigueur. Crises de convulsions lorsque je suis stressé, lorsque je suis perturbé ou sous pression. Crises de nerfs lorsque mes membres ne suivent pas les ordres que je leur donne, éventuellement. Mon hémiplégie partielle du coté droit se rappelle régulièrement à mon bon souvenir quand les doigts de ma main droite sont incapables d'agripper avec autant de facilité et d'agilité que leurs frères du coté gauche un objet, par exemple. Lorsque je ne peux porter quelque chose de lourd parce qu'au bout de deux ou trois mètres, je suis sur le point de m'effondrer tellement c'est dur à lever. Lorsque ma jambe finit par boiter parce que j'ai marché sur une période assez longue. Que je suis couvert de sueur, sur le point de m'écrouler sur moi-même ; alors qu'en même temps, mentalement, je tente de faire obéir celle-ci pour qu'elle poursuive son effort encore pendant un moment. En vain, bien évidemment. Lorsque, chaque nuit, toujours à peu près aux mêmes heures, je suis pris systématiquement de crampes dont je ne peux me soulager. Et que je suis contraint de me lever, de marcher ou de m'asseoir en effectuant des mouvements spasmodiques pour m'en libérer. Que, durant à peu près une demi-heure, c'est comme si ceux-ci étaient traversés de fluides électriques qui m’empêchaient de me reposer afin de pouvoir m'endormir paisiblement.

 

Ou encore, toutes ces années de mon enfance, de mon adolescence, à de ma vie de jeune adulte, où trois fois par semaine, je devais me rendre chez un kinésithérapeute afin de faire des exercices pour récupérer un peu de mobilité de la partie droite de mon corps. Ou ces passages réguliers à l’hôpital lorsque les médicaments pour canaliser le mal dont j'étais la proie – les crises de convulsion – ne permettaient pas de les diminuer suffisamment. Dès lors, j'y effectuais, chaque fois, des séjours de deux semaines à un mois, parce que je ne pouvais plus user librement de la partie droite de mon corps. Celle-ci devenait alors une chape de plomb impossible de mouvoir, dont je ne ressentais pas la présence. Et que seuls ces séjours prolongés, sous surveillance constante, avec bien plus de séances de kinésithérapie qu'habituellement, étaient susceptibles de réveiller. Ou encore, ces séances de chirurgie esthétique et reconstructrice afin de retrouver un visage « normal » ; afin d'effacer cette tâche de vin qui me barrait le coté gauche de mon visage, et qui m'a valu tant de souffrances intérieures que je n'ai montré à personne au cours de toute cette période. Ces séances de laser durant lesquelles j'avais l'impression qu'une aiguille chauffée à blanc me transperçait la face de part en part eau point de hurler de douleur comme si j'étais un de ces hommes de Guantánamo ou d'ailleurs que l'on torturait périodiquement, ces passages au bloc chirurgical qui me laissaient défigurés pour longtemps. Et personne, aucun ami, aucune main réconfortante, vers lesquelles me tourner, sur lesquelles m'appuyer. Toujours seul face à moi-même et ce que j'endurai ; sauf les fois, de temps en temps, où les membres de ma famille venaient me rendre visite pour passer quelques instants avec moi.

 

Je ne parle même pas des moqueries, des rejets, des violences morales, psychiques, émotionnelles, dont j'ai été l'objet. Des mises à l'écart, des regards de biais, des personnes qui changeaient de trottoir quand j'avais le malheur de croiser leur route. Des murmures dédaigneux, des grimaces que l'on me faisait dès que je passais non loin de jeunes hommes et de jeunes filles de mon age lorsque j'étais au collège ou au lycée. Des refus de m'employer – sans mettre en avant mon handicap ou les cicatrices de mon visage dû à ma tache de naissance. Des discriminations, de refus que je participe avec ceux et celles qui m'entouraient, aux mêmes activités qu'eux ou qu'elles : boites de nuit, sorties en ville, restaurants, j'en passe. Et, que dire de ces jeunes femmes qui appréciaient toujours mon amitié, ma sincérité, ma gentillesse, ma douceur ; toutes ces qualités qu'elles rêvaient de voir éclore chez les jeunes hommes qu'elles fréquentaient ; dont elles s'éprenaient ; et que bien peu leur offraient. Ceux-ci n'ayant qu'un seul but, qu'une seule ambition, les séduire afin de les mettre dans leur lit, de profiter de leur beauté, de leur charme, de leur fraîcheur, de leurs sentiments. S'amuser de ce qu'elles ressentaient pour eux pour les transformer en objets sexuels dont ils jouissaient ; puis, une fois lassé, ou parce qu'ils en avaient trouvé un autre plus divertissant, qu'ils jetaient sans remords ni regrets ; avant de se vanter de leurs prouesses, de la naïveté de leurs conquêtes – qu'ils trompaient souvent allégrement – auprès de leurs compagnons de beuveries ou de défonce.

 

Tout ce que j'évoque ci-dessus, je l'ai constaté un nombre incalculable de fois au gré de mes expériences de vie diverses et variées. De mes cheminements au sein de cette communauté que l'on dit civilisée, tolérante, ouverte qui peuple la France ; ce beau pays de droit, de liberté et de fraternité. Je m'y suis heurté jusqu'à en être écorché vif, jusqu’à en hurler de terreur, de souffrance, dans la solitude, le silence et l'indifférence.

 

Alors, oui, à certaines période de ma vie, il m'est arrivé de haïr ce corps qui me fait défaut, qui se joue de moi. Qui me fait endurer les pires maux que je peux supporter. Oui, parfois, je l'ai maudit, j'ai souhaité m'en débarrasser, jusqu’à vouloir mourir afin d'y échapper. Oui, parfois, il m'arrive d'envier ces hommes et ces femmes qui profitent de toutes leurs capacités physiques. Qui ont tant de facilité à s'intégrer à un groupe sans qu'on les regarde comme des intrus. Sans qu'on les considère comme des êtres qui, s'ils sont fréquentés trop visiblement, trop souvent, trop longtemps, vont gangrener de leur différence, de leurs « tares », le reste de ses intervenants. Ou qui vont les salir parce que je les aurait touché ou serré la main juste pour leur dire bonjour ; ou encore embrasser sur les joues – pour les femmes – pour les saluer ; avant qu'ils ou elles ne se dissimulent à mon regard un instant pour s'essuyer les endroits que j'aurai frôlé, afin de ne pas être contaminés.

 

Cette solitude, ce silence, ce vide, vers lesquels ces sentiments me renvoient. Cette absence, ces larmes gorgées de douleur et de sang, ces flagellations qu'ils ou elles m'infligent délibérément ou non. Ces blessures et cicatrices purulentes, incapables de se refermer définitivement. Cet épuisement m’empêchant de reprendre des forces, m’empêchant de me relever pour éprouver de la joie, du plaisir, un bonheur simple des simples choses de la vie que tout un chacun éprouve habituellement. Toutes ces personnes « différentes » qui, comme moi, renoncent à exister, à ressentir des émotions essentielles, évidentes, pour la grande majorité des gens. Et que, lorsque j'en croise, me transmettent cette noirceur, cette détresse, qui les étreint immanquablement. S'ajoutant aux miennes pour les alimenter encore et encore, indéfiniment.

 

Le monde, la vie, sont cruels, sans pitié. Pour ceux et celles qui ne sont pas « bien nés », rien ne leur ai épargné. Chaque geste, chaque événement, chaque rencontre, au quotidien, est une épreuve, une source d'angoisse et de frayeur. Source de déception et de pleurs. Quand l'immense majorité des gens profitent pleinement des joies et des bonheurs simples de l'existence ; d'un emploi « normal », de la satisfaction sans égal d'avoir une petite amie, d'une compagne, qui vous plaît, avec laquelle vous pouvez partager tout ce qu'il y a de plus beau et de meilleur en vous, et vice-versa, il y en a qui se damneraient pour être à leur place. Il y en a qui sacrifieraient tout ce qu'ils ont, tout ce qu'ils sont, pour avoir l'insigne privilège d'approcher la dame qui fait battre leur cœur, qui fait vibrer de désir leur corps regardé comme informe et dégradant.

 

Il y a quelques années de cela, j'ai visionné le film « Éléphant Man ». Un très beau film, soit dit en passant. Mais, il m'a fallu vingt ans avant de pouvoir le regarder entièrement. Les premières fois où j'ai tenté de le suivre – j'étais alors adolescent -, au bout de vingt minutes, je n'en pouvais plus. J'avais l'impression de me voir à l'intérieur du téléviseur. Les sévices, les humiliations, les violences, les moqueries, etc. dont il était l'objet me renvoyaient à mon propre cheminement personnel. Je ressentais au plus profond de moi-même, quasiment physiquement, tout ce qu'il vivait. Une ou deux fois, j'en ai tellement eu mal, que je n'ai pu que pleurer, à la fois sur le destin monstrueux de cet être humain « pas comme les autres », ainsi que sur le mien. Je me posais des questions. Qu'ai-je mérité pour endurer, d'une autre façon, tout ce qu'il a souffert jadis. Jamais je ne pourrais être aimé, désiré, comme un homme normal.

 

Jamais aucune femme – qui me plaît, pour laquelle j'ai de l'attirance, qui, à mes yeux, est belle à s'ouvrir les veines devant elle pour le lui démontrer – ne me permettra de l'approcher, de a côtoyer, de l'aduler, de la vénérer, de l'honorer – dans tous les sens du terme. Je suis condamné à être « l'ami », le « copain », celui qui est sympa, gentil, affectueux, etc., mais que l'on oublie aisément. Celui que l'on invite pas, que l'on accueille pas – ou alors uniquement lorsqu'il n'y a pas d'autre choix – aux soirées, aux fêtes, aux sorties, aux voyages, j'en passe. Je suis celui que les femmes apprécient pour sa personnalité, pour sa culture générale, pour son intelligence, pour sa philosophie, pour ses raisonnements. Je ne serai jamais celui à qui l'une d'elles ouvre sa porte, fait entrer chez elle, ou tout simplement, à qui elle téléphone pour lui dire « j'ai envie de partager des instants privilégiés avec toi » ; ou « des moments intimes, sensuels, délicats, magnifiques, dans l'échange et la fusion de ce qu'il y a de plus respectable et de plus délicat en toi, en moi. ».

 

Si j'insiste tant sur la beauté des femmes régulièrement, c'est parce que, toute ma vie, j'en ai été privé. Evidemment, la beauté n'est qu'une question de point de vue, de sensibilité. Que ce soit pour un homme ou pour une femme, chacun a sa propre vision de ce qui est beau ou de ce qui ne l'est pas. Et, à ce propos, je ne fais pas exception à la règle. Il y a des femmes, que ce soit ici ou ailleurs, pour lesquelles je me damnerai pour passer une nuit avec elles. Pour lesquelles je vendrai mon âme au Diable sans regret pour les aimer rien qu'une nuit. Pour pouvoir les admirer dans toute leur splendeur, dans toute leur perfection, dans toute leur magnificence. Ces femmes ne sont pas forcément des stars, des mannequins, des personnes inaccessibles. Elles ne sont pas forcément riches ou célèbres. Ce sont des anonymes, croisées au gré de mes pérégrinations virtuelles. Mais qui sont bien réelles, et non pas des images magnifiées comme on peut souvent l'observer ici ou là. Mais, si j'avais l'honneur et le privilège de tenir rien que l'une d'elles entre mes bras, je pourrais ensuite mourir heureux.. heureux d'avoir réalisé un rêve qui me poursuit depuis mon adolescence ; et qui me détruit à petit feu chaque jour davantage de ne pas pouvoir le matérialiser.

 

Je cours, je cours, après celui-ci, à perdre haleine, à me briser, à me détruire autant physiquement, que moralement, ou que psychologiquement. Il me pousse à soulever des montagnes, a franchir des précipices mortels, à suffoquer de relents empoisonnés, à me perdre dans des sables mouvants. Il me condamne à l'errance à la souffrance permanente, à approcher parfois les rives de la folie et de la mort. Je sacrifierai tout ce que j'ai – et même tout ce que je n'ai pas -, pour qu'il s'accomplisse un jour. Si je devais aller à l'autre bout du monde pour cela, jamais je n'hésiterai. Dans l'instant, je partirai rejoindre cette femme qui incendierait mon cœur, qui illuminerait mon âme, qui délivrerait mon esprit, et qui accepterait mon corps tel qu'il est. Et quand je dis « accepter mon corps », c'est à dire afin que je puisse, grâce à celui-ci, lui montrer combien je la désire, combien lui faire l'amour, partager ce qu'il y a de plus sublime dans l'union physique entre un homme et une femme, peut me révéler. Que cet aspect de moi-même, éternellement caché, éternellement dissimulé, éternellement dans l'ombre et la restriction, est capable de lui offrir ce que nul, peut-être, n'a jamais su lui donner.

 

C'est mon « Paradis Perdu », c'est mon Olympe englouti, c'est mon Hyperborée oubliée. C'est cette fêlure qui anéantit tout ce que je suis, qui m'affaiblit, qui m'épuise continuellement. Alors que j'ai tant à apporter par d'autres cotés de ma personnalité, par les connaissances dont je suis le détenteur, par ces mots avec lesquels je sais jongler, par les réflexions philosophiques que j'aime à partager.

 

Surtout, c'est pour cela que je déteste tant ce corps qui est le mien ; que je le réprouve, que je le repousse de toutes mes forces. Que je le maudit, que je le voue aux gémonies. Tout, plutôt que de subir l'infamie dont il est le réceptacle marqué d'infamie. Tout, plutôt que de savoir que le regard de ceux – et surtout de celles – qu'il souille, se détourne de lui parce qu'indigne de leurs émois. Alors, je me concentre sur ce qui a de la valeur, ce qui me permet de surmonter ces cauchemars éternellement renouvelés. Je me concentre sur les richesses qui remplissent mon âme, mon esprit, ma conscience. Je me concentre sur les savoirs qui me donnent la force d'avancer, de surmonter tous ces déshonneurs. Je retranscris par écrit ce que je ressens au plus profond de l'homme que je suis. Puisqu'il n'y a que par ce moyen que je suis capable de me révéler tel quel à me semblables.

 

Mais, quelle peine, quelles larmes, sont les miennes, de ne pas pouvoir exister autrement...

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