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Mes Univers
15 juin 2016

autobiographie, pages 223 à 225 / 312

X1Toutes ces pensées, tous ces sentiments, toutes ces impossibilités, toutes ces incapacités, tournoyaient sans cesse en moi. Elles pesaient sur mes épaules, et je ne réussissais pas à m’en défaire, malgré toute l’aide et la bonne volonté de ceux et celles qui m’entouraient, qui m’aimaient et que j’aimais. C’est dans ce contexte que j’ai croisé pour la première fois cette jeune femme qui a illuminé mon existence au cours de cette période.

 

Grande, élancée, blonde aux yeux bleus, dotée d’un chignon et d’un long manteau rouge le plus souvent, elle venait épisodiquement à la Bibliothèque. Généralement, c’était une ou deux fois par semaine. Rarement moins ou plus. Au début, je n’ai pas plus fait attention à elle qu’à une autre. Bien entendu, comme toutes les autres, son charme, son aura, m’interpellaient et m’éblouissaient. Comme tant d’autres qui ont attiré mon regard au cours des différentes époques de ma vie, dès qu’elle entrait, j’avais l’impression que le temps suspendait tout à coup son vol. J’avais le sentiment que le sol s’ouvrait sous mes pieds, et que celui-ci allait me dévorer. J’avais l’impression de me trouver face à un Soleil, hypnotisé, à la fois attiré et anéanti par la force qui émanait d’elle. Comme si, afin de remercier les dieux de m’avoir accordé l’honneur et le privilège de contempler sa luminescence, je devais m’agenouiller et pleurer toutes les larmes de mon corps afin de leur en être reconnaissant. Que ce n’était qu’en devenant son serviteur, qu’en m’humiliant, que, peut-être, elle consentirait à jeter un œil attendri et apitoyé dans ma direction.

 

Car, je savais que, si ce n’est sa pitié, si ce n’est sa condescendance, je ne devais attendre aucun égard, aucun respect, aucun geste affectueux, et encore moins amoureux, de la part d’une femme d’une telle beauté. L’expérience me l’avait déjà tellement de fois prouvée depuis mes premiers émois et élans sentimentaux, que je ne concevais pas qu’une femme a envie de dépasser tous ces interdits, toutes ces barrières.

 

Ce n’est donc qu’en toute discrétion, silencieux et demeurant dans l’ombre, que j’ai facilité ses démarches en matière de recherches livresques. A chaque fois qu’elle venait et qu’elle s’installait à son emplacement, je m’emparais des fiches qu’elle avait remplies. Et je m’élançais dans les couloirs et les salles d’archives de la Bibliothèque Nationale, afin de lui apporter au plus vite les ouvrages dont elle avait besoin. Puis, lorsqu’elle commandait ceux qu’elle avait mis de côté quelques jours auparavant, je les lui amenais immédiatement. A tel point que, très vite, mes collègues ont compris qu’elle était ma « chouchou ». Et ils m’ont laissé la « servir » à mon entière discrétion, tandis qu’eux se concentraient sur les autres lecteurs présents. Ce qui ne veut pas dire que je négligeais mon ouvrage pour autant. Au contraire, le fait qu’elle se tienne non loin de moi, même si elle ignorait mon existence, me donnait un coup de fouet. Mon énergie était décuplée. Par contre, si elle n’apparaissait pas durant une période prolongée, là, je m’inquiétais, mon esprit était soumis à la torture. J’étais en manque, en quelque sorte. Mes collègues s’en rendaient d’ailleurs très bien compte puisque j’avais moins faim, je parlais moins, je me retranchais derrière mes investigations personnelles à la moindre occasion. Je guettais la porte d’entrée en permanence. A chaque fois que son grincement se répercutait, je levais les yeux, le cœur battant la chamade. Et lorsque je comprenais que ce n’était pas elle, déconfit, je replongeais dans mes lectures ou les charges auxquelles j’étais affecté.

 

Au bout de quelques mois ainsi, l’une de mes collègues avec laquelle j’avais sympathisé, et à laquelle je confiais mes tourments, m’a suggéré de l’aborder pour lui avouer ce que je ressentais. La première fois que celle-ci m’a dit que, pour elle, il n’y avait que cette solution si je voulais sortir de l’impasse dans laquelle je me trouvais, j’ai cru que le ciel me tombait sur la tête. « Jamais je n’en serai capable », ai-je songé. « Je ne suis rien, rien qu’un insecte insignifiant. Comment pourrais-je rivaliser avec tous ceux qui doivent tenter de la séduire. Et puis, de toute façon, séduisante comme elle est, il est impossible qu’elle n’ait pas de compagnon. C’est inévitable. ».

 

Mon état empirant jour après jour, semaine après semaine, cette collègue est plusieurs fois revenue à la charge. Elle me voyait m’affaiblir physiquement et moralement. A chaque fois que l’élue de mes pensées entrait, elle se rendait compte que je palissais de douleur et de désespoir. Quand je lui apportais ses livres, c’était toujours en baissant les yeux, de la sueur perlant de mon front, des spasmes de peur d’être jugé et de cicatrices non refermées parcourant mon corps. Je n’étais déjà pas très épais à cette époque. J’ai dû maigrir davantage encore. Au point qu’à un moment donné, ma mère m’a comparé à un fil de fer, tellement j’étais maigre. Je dépérissais, littéralement. Et j’avais le sentiment d’être revenu en 1987 ou 1988, au plus gros de ma désespérance vis-à-vis de cette lycéenne que j’avais tant aimé.

 

Il m’a fallu environ deux à trois mois pour me préparer à l’aborder. Aidé de ma collègue, qui m’encourageait chaque jour à dépasser mes appréhensions, cette idée a progressivement fait son chemin dans mon esprit. Au début, je me suis questionné, me demandant comment j’allais pouvoir venir à bout de cette épreuve. J’ai cherché quel prétexte je pourrais utiliser afin qu’elle ne s’imagine pas que j’étais un de ces opportunistes qui « sautent sur tout ce qui bouge ». J’étais meurtri par cette idée, au point que je m’en torturais l’âme. Je m’en voulais d’avoir de tels désirs. Je me haïssais, pensant que j’étais prêt à bouleverser sa vie, juste pour assouvir mes sentiments, ainsi que les désirs charnels qui les accompagnaient. Intérieurement, je hurlais, je me maudissais.

Pour une fois, la chance m’a donné un petit coup de pouce. Je suis curieux, je ne cesserai de le répéter ; et intellectuellement davantage que dans n’importe quel autre domaine de compétence. Le hasard a donc voulu, qu’à force de lui apporter ses livres, je finisse par lire les titres des ouvrages qu’elle étudiait. Et là, quelle n’a pas été ma surprise de découvrir que ses sujets de prédilection s’approchaient sensiblement des miens. Elle aussi s’intéressait à l’occultisme, à l’ésotérisme, à la philosophie, etc. En fait, je l’ai appris plus tard de sa bouche, elle préparait une thèse sur ces sujets. Ce ne pouvait donc que me faciliter les choses.

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