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Mes Univers
3 juillet 2016

autobiographie, pages 259 à 261 / 312

Z1C’est dans ce contexte que mon chef de département m’a demandé de venir dans son bureau. Il m’a dit de m’asseoir. Il s’est installé dans son fauteuil. Je le revois encore, ce jeune trentenaire aux dents longues qui ne comptait pas ses heures, et qui donnait toute sa vie à son travail. Fier de sa supériorité hiérarchique, de considérer que rien d’autre n’était plus important que l’énergie qu’il donnait à l’Université, laissant sa vie personnelle, sentimentale, familiale, amicale, de côté, pour uniquement contenter la présidence.

Tout le monde le savait, je n’avais pas cette même vision de ce que devait être mon existence. Quand je quittais les lieux, j’étais heureux de retrouver ma vie et mes projets. Surtout depuis que j’avais changé d’appartement et que mon environnement était devenu moins bruyant. Et encore plus que j’avais croisé la route de cette jeune femme qui était ma petite amie. Enfin, malgré les embêtements financiers qui, je l’espérais, n’étaient que temporaires, j’avais le sentiment de voir le bout du tunnel. Ma titularisation arrangerait tout à ce propos. Et je découvrirais la sérénité et le calme d’une vie « normale », comme tout un chacun avait, et à laquelle j’estimais avoir droit au terme de tous les efforts consentis pour y parvenir.

Puis, soudain, l’éclair de la réalité m’a foudroyé. Mon supérieur m’a expliqué qu’il ne me jugeait pas apte à être titularisé. Pour lui, mon handicap était un frein à une carrière dans l’administration de l’Education Nationale ; selon sa vision de ce que devait être celle-ci. Il m’a avoué que, parfois, lorsque je rentrais chez moi, après, certains collègues devaient reprendre les fonctions que j’avais effectuées dans la journée pour les corriger. Que j’étais davantage un poids qu’un atout. Et que, dans ces conditions, il se devait de refuser ma titularisation ; dans mon intérêt autant que dans celui de l’Education Nationale.

Je n’ai rien dit. J’étais trop abasourdi par ce que je venais d’entendre. J’ai eu l’impression que l’on venait de me mettre un coup de poing dans le ventre, et que, maintenant, terrassé, j’étais à terre, KO. Je me suis donc levé, sans un mot. J’ai rejoint mon bureau. Je me suis assis. Et, comme si une apocalypse continuelle ravageait mon corps, mes esprit s’est détaché de la réalité. Les yeux dans le lointain, je me suis replié au plus profond de moi-même. Je me suis réfugié dans l’ultime lieu où personne ne pouvait m’atteindre, me blesser, me tuer moralement ou psychologiquement : dans les murs de mon esprit et de ma conscience.

Au bout de quelques instants, les collègues dans la même pièce que moi se sont rendu compte qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Je ne réagissais pas. Je ne parlais pas. Je ne bougeais pas. Je n’étais pas concentré sur mon clavier ou les différentes tâches que j’effectuais habituellement. Mon visage était fermé, mon regard lointain. Entre parenthèses, à partir de maintenant et pour quelques lignes, je vais retranscrire les faits tels que l’on me les a rapporté par la suite. Un de mes collègues s’est approché de moi et a essayé de me dire des mots et des phrases. Je ne les ai pas perçues, je n’étais plus là. Mon corps était présent, mais moi, je ne l’étais pas. Il a insisté, il a prévenu les gens qui se trouvaient là. Certains ont tenté de me faire réagir. Une femme qui avait des notions de psychologie est arrivée. Elle a pris le relais. Le chef du département a été prévenu, et est arrivé toutes affaires cessantes. Il s’est enquis de ce qui m’arrivait, et mon supérieur direct lui a expliqué de ce qu’il m’avait appris. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps, une demi-heure, une heure, je ne sais plus, que j’ai émergé. Comme si je me réveillais peu à peu, lentement, d’un long sommeil cauchemardesque.

On m’a expliqué par la suite que j’avais eu une crise « d’aphasie ». C’est la seule fois de mon existence que j’ai été la victime de ce genre de crise. Mais, c’est à partir de cet instant précis que j’ai changé. Après cet instant, je n’ai plus jamais été le même qu’avant. Le Dominique qui parvenait jusqu’alors à encaisser les coups, solide, fragile et sensible certes, mais qui n’était pas « cassé », « brisé », avait, du jour ou lendemain, disparu. Après cela, je n’ai plus jamais été le même. A tel point que les jours suivants, j’ai été vidé de toute énergie, de toute envie, de tout espoir, de tout horizon. Je me rendais à mon travail comme un zombi. J’ai fait plusieurs crises de convulsions. Mon état de stress a grimpé subitement. Mon angoisse, ma peur du lendemain que je pensais avoir définitivement laissée derrière moi, s’est de nouveau manifestée, et avec encore plus de virulence qu’auparavant.

Quelques jours plus tard, je suis allé à un rendez-vous chez le neurologue qui me suivait pour ma maladie depuis que j’étais revenu à Paris. La tension s’était accumulée, le stress, la fatigue nerveuse, psychologique, physique également. Car entretemps, mes problèmes d’emprunts auprès des différents organismes de crédit auxquels j’avais souscrit s’étaient aggravés. Désormais, je ne cessais de jongler entre les cinq ou six qui m’enchainaient étaient devenus non maitrisables. Ils grevaient de façon irrémédiable mon compte en banque. Et je dépensais beaucoup plus que je ne gagnais afin de les rembourser. Même en me restreignant au maximum, la machine infernale que j’avais mis en branle depuis deux ans en tentant de la contrôler, était devenue folle. J’en étais à songer de déposer un dossier de surendettement à la Banque de France. Et j’avais conscience quelles conséquences cette initiative pourrait avoir sur mon avenir à plus ou moins longue échéance. Mais avais-je le choix. Je ne le croyais pas. Et d’un autre côté, j’avais enfin eu des nouvelles de ma petite amie. Après bien des tentatives à essayer de la contacter par téléphone les soirées précédentes, à appeler et rappeler des dizaines de fois sue son téléphone portable au point d’en faire des crises de nerfs, au point de pleurer de rage et de désespoir, je lui avais parlé. Et elle m’avait dit qu’elle me quittait. « En effet, m’avait-elle avoué, je n’ai pas envie de m’engager. Je veux profiter de ma jeunesse. Je veux avoir d’autres expériences amoureuses et sexuelles avant de me fixer. Et puis, il est vrai que je ne me vois pas me promener dans la rue avec toi. Ta tache de vin, ton handicap, je ne me sens pas à l’aise. J’aurai peur qu’on nous regarde. Je ne pourrais pas assumer, je suis désolé. ».

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