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Mes Univers
23 septembre 2016

Il y a tout juste un siècle : la Somme :

X1Fin Septembre 1916, la Bataille de la Somme s'enlise : elle est pratiquement terminée. Et ses résultats tactiques peuvent être jugés médiocres : un maximum de dix-huit kilomètres gagnés en profondeur, le front allemand ébranlé mais nullement rompu. C'est bien peu eu égard à l'effort accompli.

 

Cependant, Joffre est en droit de soutenir que le double objectif auquel il avait finit par se limiter a été atteint : Verdun a été dégagé et l'adversaire a subi une terrible saignée.

 

Il est vrai que le chiffre des pertes alliées a été élevé – pour les seuls Français, environ 140 000 tués ou disparus, et 21 000 blessés graves. Néanmoins, les forces ennemies ont été plus éprouvées encore, et « l'Enfer de la Somme » a été pour elles ce qu'avait été pour les forces françaises « l'Enfer de Verdun ». Elles en sortent diminuées moralement autant que physiquement. Et le poète allemand Werner Beumelburg peut écrire : « Le soldat allemand de fin 1916 n'est pas celui de 1914. Verdun, la Somme, ont marqué son âme au fer rouge. ».

 

Tandis que cette sanglante partie se jouait sur le front Ouest, sur les autres fronts, les alliés ne sont pas resté inactifs :

 

En Galicie, Broussilov a tenté d'exploiter la grande victoire remportée en Juin sur les Austro-hongrois. Une de ses armées est parvenue sur la frontière hongroise. Mais en Aout, l'adversaire, grossi des renforts allemands, s'est ressaisi, et les forces russes étant à court de munitions, il leur a fallu reculer. Le moral du soldat russe commence d'ailleurs à baisser. Les nouvelles de l'intérieur montrent la campagne en faveur d'une paix blanche faisant des progrès ; elles montrent aussi le gouvernement désemparé, le tsar invisible, les ministres qui se succèdent plus soucieux de complaire à Raspoutine que de fournir aux soldats les moyens de se battre. Un malaise s'étend, et il commence à gagner l'armée.

 

Sur le front du Trentin, les Italiens en ont appelé de l'échec subi En Mars à Asiago. Le 6 Aout, ils ont lancé une offensive sur l'Isonzo, en direction de Goritz, et le 9, se sont emparé de la ville. Le général Cardona, commandant en chef, à un moment espéré mettre les austro-hongrois en déroute. Ceux-ci, pourtant, se sont reformés et, au bout de dix jours, la bataille s'est arrêtée. Ici comme ailleurs, les succès tactiques, si importants qu'ils aient été, n'ont pas donné de résultats décisifs.

 

L'Entente a toutefois conçu une grande espérance quand, à la fin Aout, la Roumanie est entrée dans son camp avec ses quinze divisions. C'est le 27 Aout que le gouvernement de Bucarest, longtemps hésitant, s'est enfin décidé à déclarer la guerre aux Empires centraux et à la Bulgarie. Malheureusement, les négociations préalables ont été trop longues, et l'offensive russe, comme aussi l'offensive italienne, se sont stoppées avant leur conclusion. Malgré tout, l'armée roumaine est entrée en Transylvanie qu'elle a partiellement occupée.

 

Suit une accalmie. Mais en Novembre, Allemands, Autrichiens et Bulgares conjugués reprendront l'offensive. Les Roumains, fort mal soutenus par les Russes, seront écrasés. Et le 6 Décembre, Bucarest sera occupé. L'intervention de la Roumanie n'aura servi qu'à ouvrir aux Empires centraux un vaste champ d'approvisionnement en blé et en pétrole.

 

A l'Ouest, heureusement, l'évolution des événements est meilleure. Le Portugal, vieil allié de l'Angleterre, s'est rangé à ses cotés et se dispose à envoyer un contingent sur le front français. Et surtout, Verdun a été définitivement dégagé.

 

Depuis le début du furieux assaut dirigé contre elle, la cité meusienne est devenue, aux yeux de tous les peuples alliés, un symbole d’héroïsme. Visitant ses ruines, le ministre anglais Lloyd George s'est écrié : « Le souvenir de la victorieuse résistance de Verdun se ra immortel, parce que Verdun a, non seulement sauvé la France, mais notre grande cause commune et l'Humanité toute entière. ».

 

Cependant, Verdun restant serré de près, le général Nivelle, successeur de Pétain à la tête du secteur, s'est résolu à lui donner de l'air. Nivelle est un beau soldat, aux traits réguliers, très sûr de lui ; ami du panache sachant parler avec éloquence aux hommes. Parmi ses commandants de corps, il compte un officier au tempérament analogue, plus vigoureux encore, et qui s'est maintes fois distingué à la tête des troupes coloniales : le général Charles Mangin.

 

C'est sur le conseil de Mangin que le fort de Vaux, et que le fort de Douaumont, ont été désignés comme objectifs principaux. Le 24 Octobre, l'assaut est donné ; les troupes françaises progressent rapidement. Douaumont est presque aussitôt enlevé. Mais une suite de violentes contre-attaques empêchent que Vaux ne le soit avant le 2 Novembre.

 

De fait, presque tout le terrain gagné par les Allemands devant Verdun est reconquis, et la ceinture de forts rétablie. Cette brillante opération conduite à bien avec le minimum de pertes, fait le plus grand honneur à Nivelle. En quelques jours, il devient célèbre et, dans les milieux politiques français, nombreux sont ceux qui réclament pour lui la place occupée par Joffre.

 

***

 

Les grandes batailles poursuivies en 1916 sur le front Ouest n'ont pas grandi, aux yeux des opinions publiques, le prestige de ceux qui en ont eu la responsabilité. En Allemagne, on avait beaucoup espéré de l'offensive sur Verdun. Et en France, comme en Angleterre, beaucoup de celle de la Somme. Que, malgré tant de sacrifices, elles n'aient pas donné de résultats plus manifestes, voila qui a causé une grande déception. Sans doute, les gouvernements expliquent-ils que l'objectif était moins la déroute de l'adversaire que son usure ; et que cette usure a été obtenue : le public averti soupçonne qu'elle a été à peu près aussi importante dans les deux camps.

 

La première victime du mécontentement a été Falkenhayn. Dès le 27 Aout, Guillaume II l'a relevé de ses fonctions de chef de l'état-major général. Il l'a remplacé par Hindenburg. L'alter ego de celui-ci, Ludendorff, est resté auprès de lui avec le titre de premier quartier-maître général.

 

Au début de Décembre, c'est en Grande-Bretagne – non pas le commandant en chef ; Haig est même promu maréchal – que le Premier-ministre se voit atteint. Une intrigue bien conduite aboutit à la dislocation du cabinet Asquith, et à son remplacement par un cabinet Lloyd George.

 

En France, les négligences révélées par les premiers succès de l'assaut contre Verdun ont amené les Assemblées parlementaires à revendiquer un droit de contrôle sur la conduite générale de la guerre. Le gouvernement a d'abord résisté. Puis, à partir de Juin, il a accepté que les Chambres se réunissent parfois en « comités secrets » devant lesquels des informations confidentielles pourraient être données. A la fin de Juillet, un « contrôle parlementaire aux armées » a été institué ; et des commissaires députés, ou sénateurs ont été chargés de procéder à des enquêtes périodiques auprès des armées. Inutile de dire que l'innovation a été fort mal vue au G.Q.G. de Chantilly :

 

« Soit, a déclaré Joffre, ces messieurs iront où ils voudront. Non pas seuls, mais accompagnés d'officiers de mon état-major. Je ne puis admettre qu'ils aillent se fournir d'arguments contre mon commandement auprès de certains de mes subordonnés. ».

 

Un tel propos aussitôt rapporté ne peut manquer d’accroître la mauvaise humeur parlementaire. Briand, qui toujours flaire le vent, comprend que s'il ne veut pas être renversé, doit sacrifier Joffre. Sa conviction s'ancre au cours des séances en comité secret que tient la Chambre à la fin de Novembre et au début Décembre. Mais comment procéder à l'opération sans heurter une opinion publique auprès de qui le vainqueur de la Marne jouit toujours d'un immense prestige ?

 

Le 3 Décembre, le subtil président du Conseil suggère au généralissime une combinaison : il abandonnerait à Nivelle le commandement effectif des armées du nord et du nord-est. Mais il conserverait, avec le titre de général en chef des armées, la direction supérieure de l'ensemble des opérations sur tous les théâtres. Joffre finit par accepter. Et le 7 Décembre, Briand peut annoncer à la Chambre une très prochaine réorganisation du haut commandement. Dans la foulée, le 9 Décembre, il décide de remanier son ministère : un congrès socialiste vient de ne voter qu'à une faible majorité la continuation de la collaboration du parti avec le gouvernement. Les ministres socialistes parlent en effet de se démettre. Mieux vaut, estime Briand, prendre les devants Dans le cabinet reconstitué le 12 Décembre, Roques est, à la Guerre, remplacé par Lyautey ; auquel les succès remportés au Maroc ont conféré une grande autorité. Le général Gouraud est nommé à sa place résident général. Les ministres d’État disparaissent ; Édouard Herriot, sénateur radical du Rhône, remplace Sembat aux Travaux Publics. Un seul socialiste demeure : Albert Thomas, chargé du portefeuille créé pour lui : l'Armement.

 

La combinaison est bien accueillie par la majorité du parlement. Reste, pour se conformer au désir manifeste de cette majorité, à achever l'élimination de Joffre. C'est à l'amiral Lacaze, ministre de la Marine, et, en attendant l'arrivée de Lyautey – et donc ministre de la Guerre par intérim – qu'il appartient de se charger de l'affaire.

 

***

 

Après avoir contresigné un décret nommant Nivelle commandant en chef des armées du nord et du nord-ouest, il laisse entendre à Joffre que se fonctions vont être ramenées à celles de conseiller technique du Comité de guerre restreint qui vient d'être constitué au sein du gouvernement. Le 15 Décembre, tandis que Nivelle établit son G.Q.G. non à Chantilly, mais à Beauvais, Foch est rendu partiellement responsable des déboires de la Somme. Il est alors à son tour frappé : son commandement lui est ôté. Et il reçoit la médiocre mission d'étudier les conditions d'une éventuelle collaboration militaire franco-helvétique. Au sein du Comité de guerre, Joffre, inquiet sur son propre sort, a mal soutenu son lieutenant.

 

Lyautey, débarqué du Maroc, prend possession du ministère de la Guerre. Volontaire, autoritaire, ayant le goût des responsabilités, il ne saurait partager ses pouvoirs. Joffre comprend que le rôle qui lui a été attribué sera nul. Et il donne sa démission. Lyautey lui demande de la garder secrète. Et, à la suggestion de Briand, il lui fait, par décret signé le 27 Décembre, conférer la dignité de maréchal de France.

 

Le nouveau maréchal se cantonnera dans une retraite pleine de dignité jusqu’à ce qu'au mois d'Avril 1917, le gouvernement le charge d'une mission aux États-Unis.

 

Cet homme à la carrure puissante, au regard sans éclat, à la parole sourde, était un roc. Point très grand capitaine sans doute, ni très grand animateur, mais esprit supérieurement équilibré et âme forte. Ne l'eut-on pas, à la fin de 1916, relevé de son commandement, le succès aurait-il en 1917 couronné le plan qu'il avait conçu d'une offensive massive entre la Somme et l'Oise ? D'aucuns le pensent. Il est néanmoins impossible de répondre catégoriquement à cette question. En tout cas, le successeur immédiat de Joffre, le brillant Nivelle, ne le vaudra pas.

 

La disgrâce de Joffre, d'ailleurs adroitement masquée, ne provoque pas dans le pays les remous que Briand craignait. D'autant que le pays a commencé à croire à l'infaillibilité du haut commandement.

 

Pendant près de cinq mois, la bataille de Verdun a soumis les nerfs à rude épreuve. Les récits rapportés de « l'Enfer de Verdun » par les permissionnaires et les blessés convalescents ont rempli d'horreur les villages les plus reculés. Le cauchemar s'étant un peu dissipé, les premières nouvelles de la Somme ont suscité une immense espérance. Analogue à celle qu'avait d'abord provoqué la victoire de la Marne. On ignorait la pensée profonde de Joffre. On ne se rendait pas compte de la morne signification du terme « guerre d'usure ». On ne voulait pas trouver, dans les communiqués toujours optimistes du G.Q.G. que des promesses de trouée, avec, au bout, la paix victorieuse. L'offensive à la fin engluée dans la boue avec seulement quelques kilomètres conquis, la déception n'a guère tardé à se révéler profonde. Cette guerre ne finira-t-elle donc jamais ?

 

Aux deuils qu'elle engendre s'ajoutent, en nombre croissant, des soucis matériels. Le prix des denrées augmente lentement, mais de manière presque continue. En vain, les préfets ont-ils, après le blé, taxé successivement le sucre, le café, le pétrole, les pommes de terre, le lait, le sulfate de cuivre : leurs arrêtés sont très souvent resté lettre morte. Le Français se plaint avec amertume de la « vie chère ». Dans les usines, où les ouvriers sont revenus nombreux par le jeu des affectations spéciales, on réclame des augmentations de salaire. Pendant l'année 1916, 314 grèves ont éclaté ; la plupart au cours du dernier trimestre.

 

Sans doute rares sont les Français qui avoueraient préférer une paix blanche immédiate au retour à terme de l'Alsace-Lorraine. La presse à grand tirage, « l'Humanité » incluse, organe officiel du parti socialiste, reste unanimement optimiste et « jusqu’au-boutiste ». Les anciennes feuilles anarchisantes, telle « la Guerre Sociale » de Gustave Hervé, devenue « la Victoire », enchériraient plutôt. Et si « l'Homme enchaîné » de Clemenceau ne ménage ses critiques ni au gouvernement ni au commandement, ce n'est que parce qu'il leur reproche de manquer d'énergie guerrière.

 

Toutefois, trois quotidiens qui viennent d'être créés donnent une note assez différente : « l’œuvre », de Gustave Téry ; qui existait déjà avant la guerre comme hebdomadaire. Il se pique d'éviter « tout bourrage de crâne ». Il publie des articles dont l'ironie confine au scepticisme. « Le Populaire », lui, dirigé par Jean Longuet – petit-fils de Karl Marx -, exprime, autant que la censure le lui permet, la tendance pacifiste du groupe minoritaire socialiste. Enfin, « la Vague », fondé par le député Pierre Brizon, se fait une spécialité de relater en y insistant, les souffrances du combattant. Et de publier des lettres amères venues du front. Sans être extrêmement répandues, ces feuilles n'en n'exercent pas moins une influence certaine.

 

Du point de vue militaire, l'Automne 10916 peut certainement sembler moins stérile pour la France que l'Automne 1915, qui fut encore plus sanglant. Et il laisse entrevoir des chances de victoire. Néanmoins, les Français sont, à terme, plus las et moins confiants que douze mois auparavant…

 

Dominique Capo

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