Tant d'épreuves, seconde partie :

Je pense qu'à force de l'avoir côtoyé tout le long de mon existence, j'y suis devenu très sensible. Mon regard est devenu plus acéré, plus vigilant. D'infimes détails auxquels personne ne prêterait attention éveillent immédiatement ce ressenti. Ils me renvoient à ce passé douloureux que j'évoque de temps à autres dans certains de mes textes. Le pire, je crois, c'est que je n'en suis même pas conscient, que je ne le maîtrise pas. Il se déclenche aussitôt. Et en fonction de l'attitude de celui ou de celle qui est en face de moi, et qui réagit à mes particularités – physiques ou intellectuelles -, je suis brusquement renvoyé au sein des ténèbres d'où j'essaye continuellement de sortir. Ou, à l'inverse, mais ce ne sont que des cas exceptionnels, elle m'offre un chemin baigné de lumière, de bien-être, d'aisance, et d'espoir.

Cette façon de fonctionner de ma part s'est mise en place dès l'époque dont j'ai relaté brièvement quelques épisodes hier. Mais, elle s'est développé au fil des années et des décennies suivantes. Chaque épreuve à laquelle j'ai été confronté – la mort de mon petit frère, l'homosexualité secrète de mon père, mes amours déçus, et dans l'immense majorité refusés de la part de celles qui faisaient battre mon cœur, les amitiés que j'ai tenté de nouer, mais dont les protagonistes se sont servi à mes dépends, mes efforts pour m'intégrer au sein de la société, avec un emploi « normal », et qui ont échoué en me conduisant au burn-out et à la dépression, etc. - ont décuplé cet état. La fragilité dont j'étais imprégné depuis mon enfance du fait de mon handicap et des maltraitances scolaires dont j'ai été victime, s'est intensifiée. Je ne me souviens pas une seule période de ma vie où j'ai connu la paix, le repos, la tranquillité d'esprit, le sentiment d'être entouré, écouté, aimé pour la personne que je suis et non pour l'image que je renvoie.

Pour quelqu'un qui ne l'a pas subit, il est impossible d'éprouver, ou même d'imaginer quel enfer cela a pu être, et pendant tant de temps. Plusieurs fois, surtout au début des années quatre-vingt-dix, j'ai songé à mettre fin à mes jours. A deux ou trois reprises, cette tentation a été telle qu'il n'en n'a fallu que peu pour que je ne passe pas à l'acte. A cette époque, je me souviens, j'étais employé à la Bibliothèque Nationale ; du coté travail, j'étais épanoui. Mais amicalement et sentimentalement, je souffrais un martyr difficilement concevable pour quelqu'un de « normalement constitué ». J'avais également quelques amis, qui m'ont vu progressivement sombré, soit indifférents à mes terreurs, à mes souffrances, soit démunis face à elles.