Brèves Philosophiques, pages 272 à 274 ; De l'Education de nos enfants, dernière partie :
Donc, ce n'est pas une question de forme de société, c'est une question de capacités, de possibilités, de trajectoire personnelle, d'ambition, de rêve ; et à aussi, pour terminer, il est vrai que d'une civilisation mondialisée, d’hyper-consommation, où l'argent-roi et la valorisation sociale dépend de son statut, donc, de niveau hiérarchique où l'on se situe, celui qui n'a pas un "bon métier", qui n'a pas un salaire conséquent après avoir effectué de grandes études, et donc, forcément, avoir acquis un bagage intellectuel et culturel conséquent, est dévalorisé. Parce que dans notre société - française notamment -, le bonheur, la réussite, passe forcément par son métier, le montant de son salaire, par la jolie maison ou voiture qu'il possède.
D'autres par contre, estiment que, parce qu'ils font un métier qu'ils aiment, mème si celui-ci n'est pas reluisant - femme de ménage, caissière de supermarché, vigile, employé de bureau - sont heureux avec ce qu'ils ont ; parce qu'ils contribuent à leur manière au fonctionnement de la société dans son ensemble. D'autres enfin, n'ont pas le choix, et ont les emplois auxquels leurs moyens, leurs capacités, leurs possibilités, qui leur sont accessibles.
Moi, Dominique, j'ai raté mes études de BEP comptabilité. J'ai eu des emplois où j'étais malheureux, des gens m'ont blessé, humilié, etc. Cependant, aujourd'hui, parce que j'ai trouvé ma vocation en entrant à la Bibliothèque Nationale, et en la suivant ensuite malgré toutes les embûches qui se sont dressées sur ma route, je l'ai suivie. Je suis devenu écrivain.
D'aucuns trouveront que ce n'est pas un métier, mais c'est ce que j'aime faire ; de plus, c'est ce pourquoi je suis fait. Alors que longtemps, on m'a dit, Dominique, il te faut un vrai travail, qui te rapportera de l'argent, parce que c'est ainsi que les choses fonctionnent, il n'y a que de cette manière que tu sera utile, et forcément heureux. Ce n'est pas vrai, je m'en rends compte aujourd'hui.
Ma sœur, par contre, alors que nous sommes tous les deux issus du même milieu social, que nous avons eu la même éducation, que nos parents nous ont suivi durant toute notre scolarité pour que nous aillons la meilleure formation possible, a suivi une formation dans le milieu agricole.
Moi, depuis que je suis enfant, j'ai toujours aimé lire ; elle, très peu. Moi, je suis un intellectuel, elle, elle est une « terrienne », quelqu'un qui préfère être dehors que le nez dans des bouquins. J'ai une grande culture dans beaucoup de domaines, elle, à part le milieu équestre, peu de choses l’intéressent. Et pourtant, il n'y a eu aucune différence entre son éducation et la mienne, entre les possibilités culturelles, au niveau de l'acquisition de savoir, que nous avons eu. Mes parents ont toujours eu des livres chez eux. J'ai eu le désir de les dévorer, pas elle.
Pourquoi ? Alors que rien ne nous a différencié durant toute notre jeunesse. Simplement parce qu'il y a des personnes qui ont la « fibre » dans tel domaine, et d'autres qui ne l'ont pas. Et que cela influe aussi sur l'ensemble de ce qu'ils vont devenir par la suite.
Chaque trajectoire est différente, et nous faisons tous avec ce que nous avons, comme je viens de l'expliquer longuement. Ce n'était mieux hier. Il n'y avait pas davantage de chances pour celui qui avait un bagage intellectuel et culturel conséquent.
Sans compter l'aspect historique des Trente Glorieuses qui, dans l'inconscient collectif, a imaginé que chacun avait les mêmes chances s'il effectuait de hautes études. Un échec complet qui s'est révélé pleinement dans les années 80 avec les débuts de la Crise que nous connaissons toujours actuellement.
De fait, tous ces éléments prouvent bien qu'il ne s'agit pas que d'une question de lire, d'acquis de savoirs intellectuels, mais que tout un tas d'autres facteurs font la différence. Qu'on le veuille ou non, qu'on l'accepte ou non...