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Mes Univers
2 avril 2019

Celui qui attend :

X1J'ai passé la majeure partie de ma vie à attendre. A attendre le bon vouloir des gens pour qu'ils me laissent entrer dans leur univers.

 
Parfois, j'ai frappé à la porte de leur existence. Souvent, j'ai longuement patienté. Par tous les temps - sous la pluie, la grêle, le vent, confronté au froid ou à la canicule -, en maints endroits, je me suis déplacé aux quatre coins de la France, et occasionnellement à l'étranger. Régulièrement, on m'a répété "pas maintenant", "plus tard", "demain, je te promets", "non, je ne t'oublie pas, mais ce n'est pas le moment". Souvent, dans le silence et la solitude, ceux et celles en qui j'avais confiance, qui m'avais juré leurs grands dieux qu'ils ne me négligeraient pas, qu'ils ne se désintéresseraient pas de moi, que je comptais vraiment, m'ont fait croire monts et merveilles.
 
Je me vois encore, toutes ces années durant, hier, aujourd'hui, demain, etc. assis à la fenêtre de chez moi. Un(e) ami(e) m'a promis de passer l’après-midi avec moi. Je me suis préparé à l'avance, ai tout fait pour l'accueillir au mieux. Les minutes s'écoulent, l'heure approche. Je suis heureux de partager ce moment à discuter avec lui ou avec elle. Mon cœur bat la chamade. Je suis nerveux, stressé, impatient.
 
D'autres m'ont déjà tellement fait espéré, puis ont brisé leur engagement. Quelques fois, à la dernière minute, quelques fois, sans même me prévenir qu'ils étaient pris ailleurs parce qu'étaient survenus des événements plus urgents. Quelques fois, parce qu'ils avaient oublié notre rendez-vous, tout simplement. Quelques fois, enfin, parce qu'ils n'en n'avaient plus envie, ou qu'ils étaient avec d'autres personnes qu'ils ne voulaient pas quitter pour venir me voir.
 
Alors, derrière ma fenêtre, j'observe les gens qui déambulent dans la rue devant chez moi. J'essaye de reconnaitre la silhouette de mon invité(e) qui, normalement, devrait bientôt arriver. Parfois, j'ai un sursaut. Il me semble un instant que c'est lui ou elle. La joie m'étreint, puis s'évanouit aussitôt. Je me suis trompé ; il ou elle lui ressemblait. Mais ce n'est pas celui ou celle que j'espère.
 
Maintenant, l'heure de notre rendez-vous vient de passer. Ma tension monte encore d'un cran. J'ai peur. L'angoisse commence à pénétrer mon esprit. J'en ai presque envie de vomir, tellement je suis stressé. Est-ce qu'encore une fois on s'est moqué de moi ? Est-ce qu'encore une fois, on m'a fait miroité un après-midi de joie et de bonheur parce que j'avais assez d'importance pour que cette personne se déplace jusqu'à moi.
 
Je lui ai pourtant expliqué qu'avec mon handicap et ma maladie, je suis dans l'incapacité de la rejoindre ailleurs. Elle sait que je n'ai pas de moyen de locomotion. Que, si ce n'est les quelques rues autour de mon domicile, je ne peux aller plus loin. Que ma jambe droite fatigue vite, que je boite, et que je manque de tomber si je lui demande des efforts supplémentaires.
 
Je lui ai aussi dit que le stress peut éventuellement provoquer chez moi des crises de convulsions. Que, dans ce cas là, je suis entièrement paralysé du coté droit de mon corps, et que j'ai besoin de repos, de tranquillité, de sérénité, pour ne pas y succomber. Mais surtout, que j'ai besoin d'être rassuré, apaisé, pour être apte à endurer toutes les épreuves, au quotidien, auxquelles mon état me condamne. Car celles-ci ne me négligent pas, ne m'oublient pas, elles.
 
Les minutes s'écoulent, il ou elle n'est toujours pas là. Je tourne comme un lion en cage. Mon esprit ne peut se défaire de ce temps qui passe. Comme un étau qui me serre, j'ai l'impression d'étouffer. Un nœud me compresse le ventre. Ma gorge est nouée, j'en ai des larmes aux yeux. C'est tellement douloureux que j'en ai presque envie de me suicider. C'est trop dur. C'est trop de souffrance.
 
Je m'écroule au sol. Moi qui ne suis pas croyant, je prie tous les dieux et les diables de l'univers d’arrêter ce cauchemar dont je suis le prisonnier. Alternativement, je jette un œil à ma montre, puis à la fenêtre. Intérieurement, je hurle de désespoir. Intérieurement, je pleure des larmes de sang. Intérieurement, je suis dévasté, écorché vif. Je suis persécuté par ce destin qui me fait comprendre que j'aurai beau tout faire, ce monde, ces gens, ne veulent pas de moi.Je suis persécuté, je suis châtié pour ce que je suis. Je suis maudit, et tel Prométhée enchainé à son rocher, chaque jour je suis soumis au martyr. Je meurs le soir pour renaitre le lendemain afin de subir le même sort que maintenant.
 
Tandis que j'écris ces mots, mon âme en est déchirée, comme si on la lacérait à coups de lames de rasoir.
 
Oui, ces lames de rasoir posées sur la tablette du lavabo de la salle de bains. Ces lames de rasoir qui m'attirent, qui me réclament. Combien de fois les ai-je prises, les ai-je collées à mon poignet ? Combien de fois me suis-je lacéré les bras, tellement ce supplice était épuisant. Une torture mentale dont, à chaque fois, je ne ressors jamais indemne.
 
Alors, tout pour découvrir un moyen de la stopper définitivement. Tout pour que m'en débarrasser. Puisque je ne suis pas bien, assez important, pour que les gens que j'apprécie ou que j'aime me préservent de ce qui est à mes yeux intolérable, autant en finir. Puisque mon existence est futile, négligeable, pour eux, alors que je ferais tout pour leur apporter un peu de joie et de bonheur, autant disparaitre à tout jamais.
 
Une fois encore, on m'a trompé. Une fois encore, parce que je suis qui je suis, on m'a oublié, négligé. Une fois encore, parce que ma vie fracassée à force de l'avoir malmenée ainsi - et de combien d'autres façons ? -, je suis anéanti, perdu ; je me sens abandonné. Je me sens trahi, humilié. Je suis soumis à cette géhenne perpétuelle qui me condamne à la solitude et au silence. On a une fois de plus violé ma sincérité, mon amitié, ma gentillesse, ma bienveillance.
 
Après tout, ne suis-je pas celui qui comprend les malheurs, les difficultés, des autres ? Ne suis-je pas cet individu qui, parce qu'il travaille chez lui, n'a rien à faire, est en permanence susceptible de se plier aux obligations et aux nécessités d'autrui ? Ne suis-je pas, du fait de mon handicap et de ma maladie, celui qui vient après, quand on a un peu de temps à perdre, quand rien d'autre n'est prioritaire, quand on a pas d'autre ami(e) avec qui parler, que l'on peut rencontrer ? Ne suis-je pas celui que l'on peut laisser brusquement parce que, ça y est, ou a quelque chose d'autre à faire, une personne plus intéressante, plus "normale" à rencontrer ?
 
C'est vrai, après-tout : je ne suis qu'un handicapé et malade, qu'une moitié d'être humain finalement. Et puis, je suis trop intellectuel, trop sensible, trop fragile. Je suis trop "savant", trop "philosophe", etc. Mon univers ne se situe pas dans la "vraie" vie. Je suis trop différent pour être quelqu'un de fréquentable, d'appréciable, de façon régulière ou au quotidien. Éventuellement, de manière exceptionnelle, pourquoi pas. Mais pas plus, car je ne leur ressemble pas. Combien de fois ces gens me l'ont-ils dit, me l'ont-ils fait comprendre ?
 
Alors, derrière ma fenêtre, muré dans mon domicile que je ne quitte pratiquement plus, j'attends le bon vouloir de ceux et celles qui, par ce comportement à mon égard me font tant de mal. Alors, je ferme toutes les portes, toutes les fenêtres, pour qu'ils ne me fassent plus souffrir davantage. Alors, je me plonge dans mes livres, dans mes écrits, pour oublier que mon existence, à leurs yeux, ne vaut pas plus que quelques minutes de lecture de l'un de mes textes partagé ici.
 
Alors enfin, je me me réfugie dans un univers où je suis le bienvenu. Je n'attends plus rien, je n'espère plus rien. De quoi que ce soit ou de quiconque. Parce que je ne veux pas être tenté de m'emparer de cette lame de rasoir qui mettrait définitivement fin à cet enfer qui ne dit pas son nom...
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