Tristesse virtuelle

Souvent, lorsque je surfe sur Facebook, au gré des pages qui défilent aléatoirement sur mon écran, j'ai des larmes qui me montent aux yeux. Car ce que j'y vois me rends profondément malheureux. Une grande tristesse s'empare de moi. Je n'y peux rien. Ce que j'y surprends est souvent tellement douloureux que je ne suis pas capable de l'endurer davantage que quelques minutes.

Si ce n'est un certain nombre de groupes auxquels je collabore parfois, si ce n'est une petite quantité de personnes qui me lisent et qui me suivent plus ou moins régulièrement, tout le reste est affligeant.

Non pas que je me sentes supérieur à quiconque. Je suis et demeurerai certainement toute mon existence un anonyme parmi tant d'autres. Je suis et demeurerai un "écrivaillon" qui ne parviendra jamais à percer parce que noyé au milieu de myriades d'ambitieux sans talent le plus souvent, mais capables d'écraser tous ceux et toutes celles qui se dressent devant eux., Je suis et demeurerai un "intellectuel" qui se protège du monde extérieur parce que celui-ci lui a fait trop de mal. Je suis et demeurerai un historien qui n'a que ses connaissances à partager, mais qui ne se met jamais en avant pour essayer de briller.

En fait, je ne suis qu'un être humain, "médiocre", parmi tant d'autres. Je ne suis qu'un grain de sable qui se montre tel qu'il est. Avec ses forces et ses faiblesses, avec ses joies et ses peines, avec ses victoires et ses défaites, avec ses bonheurs et ses malheurs, avec ses rêves et ses cauchemars, etc. Je dirai même que je suis moins qu'humain, puisque je suis handicapé et malade, et que dans un monde comme le notre, "normalisé", "institutionnalisé", celui qui est différent en est rejeté.

Je me cache donc dans l'obscurité et le silence pour échapper à cette malédiction dont je suis l'objet. Pour autant, plus j'en découvre sur notre univers, - sa réalité, sa diversité, sa complexité, sa richesse, ses merveilles -, plus ce que je vois ici me consterne. Plus j'apprends sur l'Humanité, sur son passé, sur son présent, sur "ses futurs éventuels", sur sa technologie, sur ses avancées scientifiques dans d'innombrables domaines, sur les multiples formes de sa pensée ou de sa philosophie, plus l'ennui me submerge. Plus la lassitude et le désenchantement m'envahissent.

Tous ces savoirs, toutes ces capacités, toutes ces possibilités, pour assister à ça. Pour assister à ce nihilisme, pour assister à cette vanité érigée en ce lieu en déité. Toute cette suffisance, comme si celui ou celle qui s'y exprimait était le seule ou la seule à détenir la vérité. Toute cette violence verbale, toute cette haine, toute ce désir de soumettre les gens qui ne sont pas d'accord à ses propres opinions. Toute cette méconnaissance, toute cette façon de se comporter avec qui que ce soit, sans respect ni égards ou tolérance, comme si la personne qui s'exprimait était la seule à en être digne ; mais pas celui ou celle qu'elle a face à elle.

Bien sûr, et heureusement, tout le monde n'agit pas de cette manière. Mais quand je surfe, parfois involontairement, et que je suis contraint d'assister à tout ça - sans compter tout ce que je ne dit ou ne vois pas -, mon cœur en souffre considérablement. Je souffre de voir ce que les gens qui viennent ici acceptent les monstruosités dont ils sont à fois les auteurs et les victimes. Je souffre de les voir léthargiques, apathiques, sans volonté, à se contenter d'exhiber leurs petites existences qui n'ont d’intérêt que pour leurs proches. Je suis effaré de les voir s'adonner au voyeurisme.

Je suis également contrit quand je lis de quelle façon ils s'expriment. Un vocabulaire pauvre, des fautes d'orthographe et de grammaire à chaque phrase qu'ils écrivent ; même de la part de ceux et de celles qui se prétendent écrivain ou romanciers. Pratiquement tous et toutes qui se vantent de' détenir ce titre supplicient la langue de notre pays. Je ne parle même pas de la masse des utilisateurs de Facebook, qui ne avent même pas énoncer une phrase, une pensée, etc. à peu près correctement.

J'en ai honte. J'en rougis d'effroi quand je me rends compte de la banalité, de l'aridité, de la stérilité, de ce qui est ici échangé, partagé, retransmis, diffusé. A part des images censées être amusantes, à part des vidéos souvent tronquées, partiales, qui ne sont que de la propagande ou des fakes-news, rien créé, inventé, écrit par soi-même. Que de l'éphémère et de l'instantané, que des rumeurs ou des contre-vérités. Que de la morgue ou de l'insolence, que du dédain ou de la prétention. Des hommes et des femmes qui se pensent importants au point de tout montrer d'eux ou d'elles. Alors qu'ils ou elles ne sont que comme et moi, rien qu'un grain de sable perdu au milieu de la multitude.

Quelle honte pour cette part d'humanité que nous détenons. Quel malheur pour tout ce que notre espèce qui a tant accompli pour en arriver là où elle en est. Quelle consternation, alors que nous avons tant à portée de la main ; de se transformer en "larves amorphes" se contentant de l'instant présent, de cette virtualité les enchainant à un "immense rien". Des "drogués du vide", des "toxicomanes volontaires" qui ont oublié de vivre, de partager, d'accepter l'autre tel qu'il est sans s'imposer à tout prix à lui. Parce que, sans cela, ils auraient l'impression que leur existence "métro-boulot-dodo", famille, amis, etc. est morne et sans attraits.

Moi-même, j'en suis conscient, je suis confronté à tout cela. Néanmoins, la grande majorité du temps que je consacre à écrire ici, c'est pour tenter d'apporter modestement ma pierre afin de faire évoluer tout ça. Afin d'enrayer, dans un sens plus enrichissant, plus ouvert, plus amical, plus tolérant, cette gangrène des esprits, des âmes et des cœurs. En vain, hélas.

Cependant, je suis un membre de cette espèce censée être "intelligente et raisonnée". Et parce que je suis malheureux de voir cette déshumanisation accélérée, et quitte à prêcher dans le désert, je ne peux m'en contenter.

Dominique Capo