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Mes Univers
31 mars 2020

Témoignage du 31/03/2020 :

1

Madame, Monsieur,
 
C'est avec beaucoup de réticence que je vous écris cette lettre. Mais, malgré la fatigue morale et émotionnelle qui est la mienne, il me semble justifié de partager les faits qu'elle contient avec vous.
 
Samedi 28 Mars dernier, alors que j'allais au courrier, je me suis aperçu d'une défaillance de l'ascenseur de l'immeuble. Tout d'abord, je n'ai rien fait, supposant que tout rentrerait dans l'ordre dans la journée. Toutefois, plus les heures se sont écoulées, plus cette défaillance s'est accentuée : quand ses portes devaient se refermer, selles s’arrêtaient à mi-chemin. Elles repartaient en arrière, se réenclenchaient en avant, et ainsi indéfiniment. J'ai téléphoné au numéro vert de l'ascensoriste qui s'occupe régulièrement de son entretien, et dont le numéro de téléphone et le numéro de référence de l’ascenseur sont inscrits au-dessus de la porte de celui-ci. La personne qui m'a répondu m'a dit qu'elle enverrait quelqu'un voir ce qui n'allait pas dans les plus brefs délais.
 
Avant de poursuivre, je tiens à spécifier ceci : ma compagne et moi habitons cet immeuble depuis plus de quinze ans maintenant. Elle, est atteinte de la sclérose en plaques depuis 2012. Elle a également une légère atrophie du cervelet. Et progressivement, son état de santé, s'il est stabilisé depuis des années, a tendance à lentement se dégrader. Elle ne se déplace plus dans l'appartement qu'avec un déambulateur. Quand elle doit en sortir – avant le confinement, une fois par semaine, elle effectuait une promenade d'une heure avec une accompagnatrice -, c'est avec un fauteuil roulant. De plus, ses facultés intellectuelles sont détériorées du fait de sa sclérose en plaques, et je prends en charge tout le quotidien, l'administratif, le financier, l'alimentaire, le médical, etc. parce qu'elle en est incapable. Si ce n'est deux ou trois tâches très aisées, sa seule distraction est essentiellement la télévision. Quant au reste, c'est une aide-ménagère qui y pourvoit deux fois par semaine – c'est elle qui va chercher nos courses alimentaires au Drive -, un kinési lui fait faire des exercices deux fois par semaines, et chaque jour, elle effectue une demi-heure de vélo d'appartement.
 
Pour ma part, je suis atteint de la maladie de Sturge-Weber. Doté d'une hémiplégie partielle du coté droit de mon corps, je fatigue physiquement très vite. Parfois, j'ai des crises de convulsions qui durent une dizaine de minutes, avant que tout revienne à la normale. Elles se manifestent notamment lorsque je suis fatigué, stressé, angoissé, moralement et mentalement anéanti. Je dois avouer que m'occuper de Vanessa dans ces conditions si particulières est de temps en temps extrêmement difficile. Et il m'arrive de m'effondrer psychiquement sous le poids de sa maladie. De fait, étant historien des civilisations – quand j'ai le temps, je rédige en ce moment, et depuis plusieurs mois, un livre sur l'origine des civilisations entre 12 000 avant J.C. et 3500 avant notre Ère - ; j'écris aussi des articles sur l'actualité la plus chaude du moment, - Gilets Jaunes, montée des populismes, Daesh, crise économique, etc. que je publie sur des sites spécialisés et sur les réseaux sociaux. Je m'intéresse encore à la philosophie, à la religion, au devenir de l'Humanité… par des essais sur lesquels je travaille parfois.
 
Outre la lecture et la télévision, c'est ma seule façon de décompresser. Et ce n'est pas toujours évident. La maladie de Vanessa, les tracas du quotidien, m'écrasent souvent. Je me sens perdu, isolé, abandonné, face à eux. Je n'ai l'appui ou le concours de personne dans mon entourage – ma mère vit à 300km de Valognes, et ne vient nous rendre visite quelques jours que deux à trois fois par an - ; quant à la famille de Vanessa, pour d'autres raisons trop longues et inutiles à relater ici, nous n'avons plus aucun contact avec elle depuis des années.
 
Nous ne sortons pratiquement jamais de chez nous. Toute la journée, nous sommes « confinés » - le mot est à la mode - ; et ça n'a rien à voir avec la dramatique crise actuelle du coronavirus. Cependant, celle-ci a accentué cette situation, c'est évident. C'est pour cette raison que la réparation de l’ascenseur de l'immeuble était d'une urgence vitale pour nous. Pour nous, comme pour la plupart des autres habitants de celui-ci, qui sont, soit des personnes âgées, soit des personnes en situation de handicap ou malades.
 
Normalement, c'est un autre habitant de la Résidence qui est l'intermédiaire entre le notaire et les résidents. Or, il y avait urgence. Et en ce qui nous concerne, d'autant plus urgent que mercredi 1er Avril, notre aide-ménagère devait nous amener nos courses alimentaires, notre frigidaire étant presque vide. De fait, l'accès à l'ascenseur était essentiel pour qu'elle puisse les monter jusqu'à notre appartement.
 
Dès lors, dimanche 29 mars 2020, en allumant notre télévision, je me suis rendu compte qu'elle ne recevait plus aucun réseau. J'ai toqué à la porte de notre voisine immédiate, qui a, à son tour, allumé sa télévision, et qui ne recevait elle non plus plus aucune image. Au passage, j'ai constaté que ni l'ascenseur ni la lumière des parties communes de l'immeuble ne fonctionnait. J'ai frappé à la porte de la personne qui se soucie des petits incidents qui lui sont liés, quand il y en a. Elle n'était pas chez elle.
 
Je n'ai pas su vers qui me tourner. J'ai retéléphoné à l'ascensoriste, qui m'a dit que la panne de l'ascenseur était liée à un problème d'électricité. J'ai téléphoné aux urgences EDF, qui m'ont renvoyé sur un électricien local. Par chance, malgré que nous soyons dimanche, j'ai réussi à en contacter un par téléphone, que j'ai supplié d'intervenir. Il m'a souligné que d'après ce que je décrivais de cette panne, ce n'était pas de son ressort. Je devais en référer à EDF. En désespoir de cause, grâce aux Pages Blanches, j'ai même appelé les parents d'Anthony. J'étais gêne de les déranger. Je leur ai tout de même expliqué ce qui se passait. Ce sont eux qui m'ont avisé qu'un habitant avait été désigné par la copropriété pour ce genre de soucis. Il s'agissait de la personne momentanément absente de chez elle. Bien-sûr, parallèlement, je devais m'occuper de Vanessa.
 
Ce n'est que le soir venu que j'ai retoqué à la porte de cette personne. Enfin, elle était chez elle. Je lui ai expliqué les démarches téléphoniques tous azimuts que j'avais effectué les heures précédentes. Elle m'a dit qu'en effet, la panne de l'ascenseur était rattachée à une panne électrique plus générale des communs de l'immeuble. Elle avait tenté, sans succès, de joindre EDF. J'ai de nouveau tenté ma chance, et ai réussi à les atteindre malgré qu'il soit aux environs de 20h. Aussitôt, je suis retourné voir cette personne s'occupant des incidents liés à l'immeuble. Je lui ai donné mon téléphone et l'interlocuteur EDF à l'autre bout du fil. Ils ont échangé quelques mots. Et celle-ci m'a souligné qu'un dépanneur EDF allait arriver dans peu de temps.
 
Cette personne m'a également spécifié qu'une fois cette panne EDF réparée, elle ne manquerait pas de téléphoner à l'ascensoriste le lendemain matin afin qu'il intervienne sur cette seconde panne.
 
Le dépanneur EDF est arrivé vers 20h30 en ce dimanche soir. Et son intervention s'est prolongée une heure environ. L'électricité est revenue dans les partie communes. La réception du téléviseur a partiellement été rétablie. En effet, la réception de certaines chaînes s'était évanouie, et d'autres captaient très mal – des brouillages plus ou moins intermittents se manifestaient - ; ils se manifestent toujours à l'heure actuelle.
 
Le lendemain matin, lundi 30 mars, l'ascensoriste a, à son tour, réparé l'ascenseur. Je n'étais pas sur place à ce moment-là. Malheureusement, les chaînes de télévisions disparues n'étaient toujours pas rétablies. Et les brouillage des autres étaient toujours présent.
 
J'ai téléphoné à un antenniste qui ma avoué qu'il ne pourrait pas intervenir immédiatement. Mais, d'après lui, il était possible que la panne EDF de l'immeuble ait endommagé l'amplificateur de réception des chaînes TV qui y est accolé. Dépité, malheureux, gêné d'en appeler une fois encore à cet habitant qui s'occupe des soucis liés à l'immeuble, j'ai encore une fois toqué à sa porte.
 
Je passerai sur les détails trop pénibles à relater, mais qui m'ont énormément secoué, blessé. Car ses mots à mon égard m'ont profondément heurté, fait de mal. Je spécifierai juste que je lui expliqué que j'avais contacté un antenniste qui pourrait éventuellement intervenir prochainement. Mème si ce prochainement était une date indéterminée, c'était toujours quelque chose, selon moi !!! Il m'a répondu qu'il ne pouvait pas prendre ce genre de décision sans l'aval du syndic de l'immeuble. Et qu'il verrait ça plus tard !!! Parce que ça entraînerait des frais éventuels qu'il n'était pas apte à cautionner. J'avoue que si on m'avait donné un coup poing dans le ventre, le résultat aurait été équivalent.
 
Sincèrement, je pensais agir de la meilleure des manières. Je pensais agir dans l’intérêt de tous les habitants de l'immeuble. Je pensais que c'était de mon devoir de me préoccuper des causes et des conséquences que ces pannes engendrait pour la vie quotidienne de chacun ou chacune d'eux. Alors, sa réaction m'a non seulement surpris puisque nous avions œuvré ensemble le soir précédent dans ce sens. Mais elle m'a anéanti, humilié, mortifié. Je n'ai pas reconnu cette personne.
 
Je me suis retiré, avec un sentiment d'abandon au fond du cœur et au fond de l'âme. Je sais qu'une panne de téléviseur peut paraître anodin, non-urgente, non essentielle. Surtout lorsqu'on est actif, que l'on peut sortir de chez soi, même en période de confinement. Que ce soit pour son travail, pour aller faire quelques courses, pour se dégourdir un peu les jambes ou s'aérer la tète. Oui, ça peut paraître futile, insignifiant. Mais quand il s'agit de personnes comme Vanessa ou moi, qui, même hors période de confinement, ne pouvons presque jamais sortir de notre domicile à cause des maladies et des handicaps qui sont les nôtres, c'est important, essentiel même.
 
 
Je tiens à spécifier ici que ce n'est pas parce que nous sommes dans cette situation d'isolement presque total que le sort des milliers de gens atteintes par le coronavirus, et qui en meurent parfois, nous laisse froids, que nous en sommes détachés. Nous sommes en empathie totale avec ces victimes. Nous suivons l'évolution des événements quotidiennement. Par ailleurs pour ma part, ma compassion, ma sensibilité face à leur détresse, est à ce point exacerbée que mes articles actuels n'évoquent que cette crise. Souvent ces temps-ci, je commente, j'analyse, je réfléchis, j'approfondis les causes et les conséquences dans bien des domaines, de cette crise sans précédent. C'est ma façon de participer à cet élan de solidarité, de soutien, et d'humanité à l'égard de tous ceux et de toutes celles qui œuvrent sans repos ni répit pour endiguer ce fléau.
 
Mon apport semblera peut-être inutile, négligeable, superflu, à certains et certaines. Je ne sais pas. Mais je m'y emploie de tout mon cœur, de toute mon âme, en usant de mes modestes possibilités et capacités. J'y consacre beaucoup d'énergie et de temps, même si cela ne se voit pas. En parallèle, je m'occupe de Vanessa. Je témoigne, et à cette époque, témoigner de ce qui se déroule sous nos yeux est nécessaire, parce que c'est une page d'Histoire que nous vivons en direct.
 
Étant historien et écrivain, tel est l'hommage que je peux rendre à tous ces gens qui se battent contre ce virus. Pour autant, ce n'est pas parce que mon action n'est pas palpable matériellement, ce n'est parce que les soucis que ma compagne et moi avons sont moins « importants », qu'ils sont à laisser de coté. Ce n'est pas pour ça que nous devons être oubliés, négligés, abandonnés. Et cette histoire de réception TV, si elle semble secondaire, ne l'est pas pour nous. Au contraire, nous avons encore plus l'impression d'être sacrifiés, délaissés, répudiés.
 
C'est pour cela que j'écris cette lettre. Je ne sais pas si elle aura des effets. Peu importe, après-tout ; il semble que nous ne comptions pas. Je ne sais pas elle suscitera une intervention pour y remédier. Je tenais juste à expliquer de quoi il retournait, et le chagrin, la souffrance, que tout ce qui est advenu ces derniers jours au sein de l'immeuble – en me battant pour ses occupants -, m'ont infligé. Je ne demande aucun merci. Je ne cherche aucune gratification. Je désirais juste vous relater ces événements tels que je les ai vécu, tels que je les ai ressenti, et tels que les ressens toujours aujourd'hui encore.
 
Sincèrement votre.
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