La Citadelle des Ombres - Deuxième Jour, Seizième Partie

Alors que je sens Fÿn-loth hésiter un instant, je songe que c'est peut-être son ombre que j'ai aperçu il y a un moment. Je me revois progresser rapidement sur la plaine, tandis que l'orage se déchaine autour de moi. Je visualise les éclairs zébrant le Ciel, fondant sur le sol ; j'entends le grondement sourd du tonnerre se mêlant à la pluie et au vent. Mais, surtout, je me souviens parfaitement des ombres mouvantes que j'ai cru - un instant - discerner à quelques mètres de moi. Je me demande donc s'il ne s'agissait pas de lui. Peut-être si c'était le cas, était t'il en train de se défendre contre les créatures reptiliennes qui l'avaient pris pour cible ? Peut-être tentait-il de fuir et de se protéger contre leurs assauts incessants ? Et, sans le savoir, il y a des chances pour que nous ayons été très proches l'un de l'autre. Si j'avais pu deviner ce qu'il se passait...

Au bout d'une dizaine de secondes environ, Fÿn-loth me répond : "Je vais y rencontrer Eÿloth...

- Eÿloth, fais-je avec stupéfaction ; le Seigneur Eÿloth... l'Archimage à la tète des Sorciers Elfes vivant au sein de la Citadelle des Ombres. Eÿloth, répétais-je ; celui qui s'oppose à Eÿl-Gareth le Patriarche, et à son Collaborateur le plus dévoué et le plus puissant : Elwin le Gris.

- Oui, explique-t-il

- Mais pourquoi, insistai-je tandis qu'une terreur mêlée d'angoisse s'empare progressivement de moi". Je n’oublie pas que, moi aussi je dois prendre contact auprès d’Elwin le Gris. C'est pour l'y rejoindre que j'ai quitté la Cité de Cristal et sa Grande Bibliothèque. C'est afin de devenir son Apprenti qu'Elfwindhel a rédigé une lettre de recommandation à son intention.

Je commence alors à réfléchir à une demi-douzaine de suppositions en ce qui concerne ce dernier. Je me rappelle qu'il a été l'un des adversaires les plus acharnés d'Elfwindhel, et qu'ils se sont affrontés à maintes reprises par le passé lors de réunions du Conclave. Je les revois tous deux également dans la salle d'apparat de la Grande Bibliothèque, se heurtant, se menaçant de faire jouer leur influence auprès d'Eÿl-Moth. Je n'ai jamais bien su ce qu'il se tramait. Mais il m'a semblé que la Citadelle des Ombres se trouvait en permanence au cœur de leurs discussions. Et mon étonnement n'en n'a été que plus vif lorsque, peu de temps avant mon départ de la Grande Bibliothèque - et la quasi-évasion d’Elfwindhel de ce lieu dédié à la Connaissance – celui-ci m'a confié une lettre à remettre en main propre à son ennemi. Et surtout, quand il m'a fait jurer tous les Dieux de me mettre sous sa protection, et pire encore, d'accepter de devenir son Apprenti.

"C'est une longue histoire, reprend Fÿn-loth. Je ne peux rien te dévoiler sous peine de te mettre en danger de mort." Son visage prend instantanément la couleur de la craie, et de la sueur se met à perler de son front. "La seule chose que je peux te révéler, c'est qu'il en va du destin des Royaumes Elfiques. L’avenir de la guerre civile qui fait actuellement rage en Quadrygöl et en Querylöth en dépend. La balance peut ensuite pencher en faveur de l'un des nombreux clans qui s'y déchirent. Elle peut également desserrer l'étau en train de se refermer autour de la Cité d'Hyslioth et de ses occupants. Elle peut encore permettre à cette ville insoumise de renforcer son alliance  avec Querylöth. Mais comprend que je t'en ai déjà trop dit."

Le silence s'installe de nouveau. Fÿn-loth reprend son souffle. Il est encore faible, et il lui faut un certain temps pour récupérer ses forces, pour reprendre le fil de ses pensées et de ses paroles. Pendant ce temps, tournant mon regard en direction des flammes de l'âtre qui éclaire les lieux, je repense aux mots décousus qu'il a prononcés il y a un moment. J'essaye de me remémorer le plus exactement possible son phrasé juste avant que je ne le revigore quelque peu grâce à mon sortilège de "Soins". Et il me revient tout à coup qu'il a effectivement parlé d'Eÿloth ; mais qu'il l'a accompagné du vocable "Orbe".

Je prends malgré tout la décision de n'évoquer celui-ci que s’il ne s'exprime sur le sujet avec moi. Je ne souhaite pas le braquer contre moi. Je ne veux pas non plus m'en faire un ennemi - un de plus - alors que nous venons juste de nous rencontrer. Les Dieux seuls savent quels dangers nous attendent en dehors de cette crypte. La route est encore longue avant d'atteindre les premiers contreforts des Monts du Levant. Et bien que mon compagnon soit blessé, il est plus sûr que nous cheminions ensemble dans leur direction, puis, ensuite, que nous gravissions leurs sommets jusqu'aux abords de la Citadelle des Ombres. Auparavant, je pense pourtant qu'une bonne nuit de repos dans cette salle nous ferait du bien. Ainsi, nous pourrons, chacun de notre coté, reprendre des forces. Cela nous permettra également de nous connaitre un peu mieux. Et cela donnera l'occasion à l'orage en train de se déchainer au dehors de s'éloigner.

Je tourne donc les yeux vers Fÿn-loth, et je m'apprête à lui faire part de mes réflexions et de mes interrogations.