A propos de la maladie de Sturge-Weber dont je suis atteint :

Vous voyez cette première photo ? Évidemment, ce n'est pas moi !!! Je l'ai trouvée sur internet, et la tâche de naissance de ce bébé est à droite, tandis que la mienne se trouve à gauche. Pour autant, il y a longtemps, ce bébé, ça a été moi !!!

A l'époque, les progrès de la chirurgie esthétique n'avaient rien à voir avec ceux qui existent aujourd'hui. Et à l'époque, puis enfant, puis adolescent, la première chose de moi que les gens voyaient, c'était cet angiome ; ainsi que l’hémiplégie partielle du coté droit de mon corps qui l'accompagnait ; ainsi que les crises de convulsions épisodiques qui, parfois, advenaient. Et ces gens, juste en me regardant, sans même me parler ou sans avoir appris à me connaitre, se faisaient leur opinion sur moi. Ils me jugeaient et me condamnaient. Ils estimaient ma présence indigne. Ils me repoussaient, ils me moquaient, ils m'humiliaient, ils m'abandonnaient, ils m'exilaient.

Plus j'étais loin d'eux, plus ils se sentaient en sécurité. Comme si la maladie de Sturge-Weber dont j'étais - dont je suis - atteint, pouvait les contaminer, les souiller, les dévaluer.

Ces gens s'imaginaient que leur vie, que leurs rêves, que leurs projets, que leurs centres d’intérêts, que leur personnalité, que tout ce qui les caractérisait, avait plus de valeur que moi. Que leur plastique était un avantage non négligeable, et que si je les côtoyais, celle-ci serait minorée. Et de fait, que les personnes dont ils désiraient l'amitié, l'amour, l'attention... ne les approcheraient jamais si j'appartenais à leur groupe de familiers... Combien de fois me l'a-t-on répété ? Y compris quand je suis devenu adulte ; à l'age où les sentiments, les émotions, les rêves, et les passions amoureuses sont censé s'exacerber.

Je plains cet enfant. Je suis malheureux pour tout ce qu'il va subir de la part des "autres" tout le long de sa vie. Je pleure ce destin qui l'a contrefait et dont il va payer le prix fort pour longtemps.

Car, qu'on le veuille ou non, qu'on l'accepte ou non, une fraction non négligeable de sa personnalité, de son parcours, de ses réussites ou de ses échecs, de ses victoires ou de ses défaites, de ses joies ou de ses peines, c'est par le regard des autres sur soi qu'ils se matérialisent.

Or, quand 90 % des gens que vous croisez vous considèrent consciemment ou inconsciemment, délibérément ou non, comme un inférieur quoi que vous fassiez, vous n'avez aucune chance d'être heureux, apaisé, serein. Vous êtes en permanence en quête de reconnaissance, avec un besoin viscéral de côtoyer des gens avec lesquels vous avez envie d'être heureux, épanoui, intégré. Et ce, quelles que soient les épreuves, les difficultés, les obstacles, que vous endurez. Quelles que soient les blessures, les souffrances, les maltraitances psychiques ou humaines dont vous faites l'objet.

Regardez cette seconde image : voici de quelle manière la majorité des gens, devenus adultes, se comportent vis-à-vis des handicapés. Et plus largement, vis-à-vis de tous ceux et de toutes celles qui sont différents d'eux. Ils n'en veulent pas. Et tous les prétextes sont bons pour justifier ou expliquer leur peur, leur ressentiment, à leur égard. Je le sais, je l'ai vécu maintes fois, que ce soit dans la réalité du monde extérieur, comme au sein de la réalité virtuelle au travers de laquelle je m'adresse à vous aujourd'hui.

Car, aux yeux de la majorité des gens, les personnes qui ne leur ressemblent pas, que ce soit physiquement, socialement, professionnellement, amicalement, etc. sont négligeables. Pire, ils sont éjectables. Ils sont avilissants, ils ne méritent qu'indifférence, que dédain, que froideur, qu'insignifiance, de leur part. Ils ne sont que des gènes, que des boulets pour la société à laquelle, de plein droit, ils appartiennent.

Puisque les gens bien comme il faut ne désirent pas leur faire de place - ou si peu - professionnellement parlant, ils ont besoin des subsides de l’État pour survivre. Or, ce dernier, pensent-ils, ne serait-il pas mieux employé ailleurs !!! En effet, tous ces aménagements qu'ils exigent, ne sont-ils pas des gouffres financiers que leurs impôts subventionnent !!!

Oui !!! Dans un monde conformiste, uniformisé, institutionnalisé, la plupart des gens se comportent ainsi. Et encore, les choses ont légèrement évolué. A l'époque où je suis né, durant mon enfance et mon adolescence, et même plus tard, cette légère indulgence que certain(e)s ont à l'égard des personnes différentes, surtout par leur apparence, n'existait pas. Pour autant, en 2020, les mentalités sont toujours plus ou moins aussi archaïques et inhumaines à leur encontre. Leur sensibilité, leur fragilité, leur désespoir, leur isolement, leur détresse, n'en n'est que plus dévastatrice...

N'oubliez jamais que c'est partiellement vous qui avez fait de moi l'homme replié sur lui-même que je suis aujourd'hui. Barbares que vous êtes...

Dominique Capo