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Mes Univers
31 mars 2016

autobiographie, pages 72 à 76 / 314

X1De fait, chaque soir, jusque tard parfois, s'organisaient des réunions plus ou moins improvisées autour de la table de notre salle à manger ou dans notre salon. Mon père, ma mère, et leurs hôtes, discutaient longuement à propos des prochaines kermesses à programmer. Ils s'interpellaient sur les prochains débats à mener, sur les contacts à prendre auprès des écoles primaires ou des collèges dans lesquels ils comptaient s'implanter. D'autres fois, mes parents étaient tellement pris par leurs briefings, que ma mère nous préparait un repas rapide. Puis, elle retournait auprès de leurs convives. D'autres fois encore, puisque la plupart de ceux-ci avaient des enfants qu'ils emmenaient avec eux chez nous, ma sœur, mon frère et moi avions pour charge de les distraire. Ce n'était pas très compliqué puisque nous avions tout ce qu'il fallait pour cela dans nos chambres respectives. En fonction de l'age et du sexe des gamins, ils étaient dispatchés entre nous trois. D'autres fois enfin, le week-end particulièrement, ces entrevues se métamorphosaient en agapes collectives improvisées. Les enfants – dont ma sœur, mon puîné et moi – mangions devant un film issu de la collection de cassettes-vidéos de mon père. Les mômes étaient ravis, car ça a été maintes fois des productions cinématographiques introuvables à la vente. Les bambins, eux, sommeillaient plus ou moins non loin de nous. Et, dans notre dos, nous entendions un brouhaha incessant provenir de l'endroit où mes parents et leurs disciples étaient en session.

 

Le tohu-bohu a été si intense que, quelques mois durant, mes parents ont embauché une jeune fille à mi-temps. Enfin, c'était l'association de parents d'élèves qui a pris en charge son salaire. Mais c'est chez nous qu'elle exécutait ses tâches. Une photocopieuse imposante, de celles que l'on utilise dans les administrations pour éditer des papiers en grande quantité, a été mise à son service. Bientôt, des tonnes de documents destinés à être diffusés dans l'ensemble de la région parisienne, se sont accumulés à notre domicile. Ce dernier était devenu le centre névralgique de toute l'organisation. Et à toute heure du jour ou de la soirée, des personnes – connues ou inconnues de moi – étaient à même de sonner à la porte d'entrée. Ils y venaient récupérer les tracts assignés à leur fraction associative.

 

Combien de fois ai-je été réquisitionné afin de plier des brochures, de les introduire dans une enveloppe, d'y coller un timbre, et de la clore ? Des dizaines de fois ! Combien de plaquettes ai-je agrafé, combien d'imprimé ai-je réparti en fonction de leur pagination, de leur lieu de distribution ? Des dizaines de milliers au minimum !

 

En tout état de cause, lorsque mes grands-parents nous rendaient visite, ils étaient horrifiés par ces va et viens incessants. Eux qui espéraient pouvoir profiter de nous paisiblement, c'était quasiment impossible. Leur rythme, leurs habitudes, étaient sans cesses mises à mal. L'ordre établi qu'ils avaient institué était renversé. C'est pour cette raison – en partie du moins – que lorsque nous étions chez eux, ils insistaient tant pour que leurs plannings soient respectés.

 

Heureusement, en vieillissant, ils sont devenus plus souples. Les déjeuners de 11h30 et les dîners de 18h30 n'ont plus eu gain de cause. C'est à 12h, puis à 12h30 d'une part, et à 19h, puis à 19h30 d'autre part, qu'ils ont été contingentés. Malgré tout, dès que l'occasion se présentait, ils imposaient à tous de consommer un apéritif. Que ce soit chez mes parents, au sein de leur foyer parisien, ou dans le Doubs, tous les motifs étaient valables.

 

Pour moi, notre propriété a une valeur inestimable. Elle compte plus que ma propre existence d'une certaine manière. Elle est ancrée dans mon âme, dans mon cœur. Ma chair, mon esprit, ma personnalité, sont liés à elle. Si je devais m'en séparer pour une raison ou pour une autre, j'en pleurerai sûrement des larmes de sang. Le déchirement que j'éprouverai serait aussi intense, effroyable, destructeur, que le jour du décès de mon petit-frère ou de mon grand-père. Malgré tout, cette horloge perpétuelle qui m'a, depuis ma plus tendre enfance, enchaîné à un programme minuté, calculé, immuable, a toujours été source de souffrance. Hier comme actuellement !

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