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Mes Univers
22 novembre 2016

Une journée ordinaire, troisième partie :

X3Les tremblements sont finalement extrêmement violents. Cela veut dire que mon calvaire est bientôt terminé. D’ailleurs, ils s’amenuisent déjà. Ils sont remplacés par une sorte de paralysie faciale de quelques minutes. Ma bouche est légèrement crispée, et j’ai du mal à prononcer mes mots. Parallèlement, je suis lessivé. J’ai l’impression d’avoir fourni un effort physique surhumain. J’ai besoin de quelques minutes pour reprendre entièrement conscience de l’endroit où je suis ; et afin de retrouver l’entier usage de mon corps ; autant que je le puis, du fait de mon handicap toujours présent malgré la dissipation de cette crise.

Toutefois, maintenant que la journée est terminée, que je suis dans ma chambre à jouer aux legos, tout cela est momentanément derrière moi. Mes camarades de classe ne sont plus là pour me blesser moralement, pour m’humilier et me rejeter. Tout ceci ne recommencera que demain ; et il sera bien assez tôt pour que je puisse les affronter du mieux que je le peux. Evidemment, je ne me confronterai pas physiquement à eux. Ce n’est pas dans ma nature de me battre. Et puis, ils sont si nombreux. Corporellement, je suis incapable de leur faire face, de répliquer par un coup de poing, ou même par un mot venimeux à leur encontre. Je n’ai pas cette capacité. Et je leur prêterai davantage le flanc à d’autres moqueries, plutôt que de les dissuader de me fragiliser humainement.

Non, ce qui m’inquiète, alors que je dois descendre dans la salle à manger pour aller diner en compagnie de mon père, de ma mère, de mon petit frère et de ma sœur cadette, c’est que j’ai eu une mauvaise note en mathématiques. J’ai essayé de la cacher à ma mère, afin de ne pas subir de remontrances. Elle regarde néanmoins régulièrement à l’intérieur de mon cartable mon carnet de correspondance. Et puis, elle participe au conseil de classe. De fait, elle est informée de l’évolution de mes résultats scolaires. Elle en fait d’ailleurs autant pour mon frère et ma sœur.

Bien entendu, lorsque mon père est rentré de son travail, elle l’en a tenu au courant. Et c’est ça qui me terrorise le plus. Car mon père va certainement me molester. Quand il n’y a que ma mère qui intervient, la punition est toujours dure, mais raisonnable. Elle, elle ne me frappe pas. Mais, quand mon père y met son grain de sable, c’est terrible. J’en suis épouvanté rien que d’y songer.

Mon père est grand. Et moi je suis si petit. Je n’ai qu’une douzaine d’années. Je suis si faible. Je suis si démuni face à lui. Je me sens tellement inférieur. Un jour, j’ai surpris une conversation entre mon père et ma mère. Mon père expliquait à celle-ci que, parfois, il regrettait d’avoir eu un fils comme moi : si chétif, handicapé, fragile, incapable d’être « normal ». Il lui a aussi dit qu’il avait honte de se promener à mes côtés. Que, de toute façon, vu mon handicap, jamais je ne réussirai ma vie ; jamais je ne pourrais m’intégrer dans u milieu professionnel, avoir des amis ; et encore moins, avoir une compagne. Il a rajouté que cela ne l’étonnerait pas si je finissais homosexuel.

Alors, je sais comment il va agir lorsqu’il va me voir, dans un instant : déjà, il aura bu un ou deux whiskies. Cela se v erra, parce que ses joues auront légèrement rougi. Son visage va se gonfler de colère en m’apercevant. Le silence va se faire autour de nous. Ma mère va se tenir à l’écart ; mon frère et ma sœur, à table, ne vont pas bouger. De toute façon, ils sont trop petits. Ils vont néanmoins deviner que l’atmosphère est électrique, et qu’ils n’ont pas intérêt à se manifester d’une manière ou d’une autre. Sinon, eux aussi « vont y avoir droit ».

Mon père va s’avancer vers moi. Moi, je serai rempli d’une terreur, seul face à lui. Personne ne viendra à mon secours là-aussi. Comme à l’école, je vais devoir affronter l’ouragan de noirceur et de violence solitairement. Mon père va me traiter de tous les noms : que je suis un incapable, que je ne suis bon à rien, que je suis inutile, qu’il préférerait avoir un autre fils que moi. Toujours les mêmes rengaines qu’il me sort à chaque fois. Puis, soudain, il va lever la main au-dessus de lui. Le coup va partir brusquement. Je m’y attends, mais sans savoir quand il va se matérialiser. Ma tête va valser sur le côté. Car mon père est doté d’une grande force. Je vais peut-être tomber sous la dureté du coup. Des larmes vont s’échapper de mes yeux. Une deuxième gifle va m’atteindre. Mes larmes vont redoubler. Il va se mettre à hurler sur moi. Il va m’empoigner par le col. Je vais trembler de peur. Je serai à sa merci. J’attendrai le coup suivant. Et peut-être adviendra-t-il ? Comme cette fois où il m’a cogné devant toute la famille, et des amis de mes parents ; au point qu’il a éclaté mon nez et que j’ai saigné abondement de mon appendice. Ou, peut-être, va-t-il me secouer un instant en me menaçant de m’envoyer en pension, de me priver de télévision pendant un mois ?

En tout état de cause, son regard dur, empreint de violence, de férocité, sa bouche où apparait une cigarette, son haleine puant l’alcool, vont s’imprimer dans ma mémoire. Sa physionomie contre laquelle je suis incapable de me défendre, à laquelle je ne peux répliquer aucun mot – si je le faisais, les coups redoubleraient -, me marqueront inconsciemment à tout jamais. Ma terreur de lui perdurera. Et je demeurerai seul, comme je le suis depuis toujours. Avec pour seule option de me réfugier dans ma chambre ; de retourner dans cet univers qui est le mien, où nul ne peut m’atteindre, se moquer de moi, me battre, me repousser, m’humilier.

Une journée ordinaire, quoi….

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