Le fil du rasoir :

Avoir peur. Avoir peur tout le temps. Avoir peur à outrance. Se sentir en permanence en danger, harcelé, déstabilisé. Avoir peur jusqu'aux tréfonds de votre conscience. Chercher la stabilité, la paix et la sérénité, et ne jamais les trouver parce que tout ce que vous êtes, parce que tout ce que vous éprouvez, est continuellement remis en cause, en question. Votre fragilité est assidûment éprouvée ; parfois jusqu'à vous conduire aux portes de la démence. Car un pas supplémentaire, un rien, pour que vous soyez dévorée par elle sans possibilité de retour en arrière.

Oui, cette peur vous poursuit quoi que vous entrepreniez pour tenter de la circoncire, pour tenter de l'apaiser, pour tenter de la réduire au silence. Oui, vos tripes sont nouées par l'épouvante, vous avez la gorge serrée d'effroi, vous avez le cœur au bord des lèvres à force d'être angoissé. La peur, vous êtes démuni face à ses assauts journaliers. Vous l'affrontez les yeux dans les yeux, mais finalement, vous êtes brisé par ses véhémences. Vous essayez en vain de la repousser, mais elle s'en prend aussitôt à nouveau à vous plus venimeuse et plus écrasante.

Cette peur, savez vous à quel point elle vous détruit, à quel point elle vous ronge ? En êtes-vous la proie favorite, la victime préférée ? L'avez-vous ressentie au point que votre chair soit marquée par elle à tout jamais ; au point que votre corps en conserve les stigmates pour le reste de votre existence ? L'avez-vous endurée au point que vos membres soient secoués de spasmes incontrôlés fréquemment ; au point que vous désiriez en finir lorsqu'elle ne vous lâche pas pendant des jours, des semaines, peut-être des mois, sans discontinuer ?

Qui est capable de résister à de telles peurs, dites-le moi ? Qui est susceptible de le porter en soi dès qu'un événement vient vous ébranler ; dès qu'une circonstance vient ruiner tous vos efforts pour avoir une vie équilibrée ? Dites-moi qui peut lui tenir tête sans finir par s'effondrer, épuisé et écrasé par les sévices dont vous êtes le jouet. Dites-moi qui osera affirmer que c'est une vie pour laquelle il est apte à batailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, trois-cents-soixante-cinq jours par an ? Qui, sincèrement ?

Pas moi, en tout cas ! Moi qui suis né invalide, moi que la vie n'a jamais épargnée ; en tout et pour tout. Moi qui ne suis pas plus fort ou résistant qu'un autre, mais qui, pourtant, encaisse mille fois plus que beaucoup d'autres. Moi dont la sensibilité et la fragilité sont exacerbées, et qui, néanmoins, sont sans cesse entamées. Moi qui me bat quotidiennement pour protéger le peu que j'ai, pour préserver celle que j'aime parce qu'elle est désarmée face à elle. Suis-je plus blindé que vous pour supporter ça ?

Car l'indifférence, la violence psychologique rajoutée à la violence physique ou émotionnelle est tout ce que j'en récolte, Être seul - ou presque -, tout le monde trouve cela normal. Crier de désespoir au sein d'un vide abyssal que ceux et celles qui ne l'ont jamais connu dans de telles proportions sont incapables à mesurer la profondeur, pour quoi ? Pour n'aboutir à aucun résultat. A part celui d'être molesté, d'être persécuté, d'être rudoyé, davantage encore. A part éprouver cette peur implacable, inhumaine, foudroyante, despotique, qui, vous pouvez me croire sur parole, est ce qu'il y a de pire sur cette Terre...

Dominique Capo