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Mes Univers
19 décembre 2022

Qui que vous soyez :

31

Je ne sais même pas pourquoi je vous écris ce message. Les lisez-vous seulement ? Entendez-vous seulement les cris de détresse incessants que ma compagne et moi ne cessons de répéter au tout venant ? En percevez-vous l'intensité ? Songez-vous au désespoir et à la terreur, à la torture mentale et à l'humiliation, à la maltraitance psychique et à la déliquescence nerveuse dont nous sommes la proie ?
 
Et encore, Vanessa, elle, est à peu près préservée, puisqu'elle est hospitalisée. Presque contre son gré, puisqu'elle préférerait être chez nous, même si c'est en attendant de déménager. A son insu, puisque si elle demeure hospitalisée, c'est uniquement parce que c'est par manque d'auxiliaires de vie susceptibles de s'occuper d'elle chez nous. Et là encore, en attendant de déménager. Elle comme moi préférerions mille fois que nous soyons à nouveau réunis, parce que nous n'en pouvons plus d'être séparés contre notre volonté depuis plus de trois mois désormais. On nous demande de patienter ; mais vous ne savez pas à quel point c'est usant, à quel point c'est destructeur mentalement et moralement, de nous entendre répéter ces mêmes mots. A nos yeux, ils n'ont plus aucune signification. Nos différent(e)s interlocuteur(trice)s nous répètent : "J'entends votre souffrance, j'entends ce que vous me dites.". Ce sont des "mots dilatoires" destinés à désamorcer une situation potentiellement tendue, destinés à détourner l'attention de la personne qui souffre vers d'autres sujets moins anxiogènes. Et en attendant, que se passe-t-il ? Rien, rien du tout, évidemment...
 
Qui que vous soyez, imaginez-vous à notre place : malade, handicapé, fragile et vulnérable vis-à-vis de nombre de facettes de votre existence. Non seulement cela, mais qui-plus-est, séparé(e) de votre famille, de vos proches, de ceux et de celles que vous aimez et qui vous aiment, parce que d'autres en ont décidé ainsi ; "pour votre bien", vous souligne t-on à l'aide de mots apaisants. Oui ! Quelle serait votre réaction ? Quelle serait l'intensité de votre souffrance et de votre désespoir ? Quels seraient les blessures et les hurlements qui vous déchireraient l'âme et le cœur en de telles circonstances ? Surtout lorsque toutes les instances hospitalières se liguent pour vous accumuler obstacles et objections pour passer un minimum de temps ensemble ? Oui ! Comment réagiriez-vous, vous ?
 
Vous, vous allez profiter des fêtes de fin d'année pour être entouré de votre famille, pour ouvrir les cadeaux déposés par le "Père Noël" au pied du sapin de Noël.  Vous allez partager un repas festif. Vous allez rire, vous détendre, être heureux d'être ensemble et de partager des moments privilégiés les uns avec les autres, certainement. Vanessa et moi, nous allons être séparés. Un taxi va bien m'emmener la voir à l’hôpital le matin du 24, du 25 et du 31 décembre, puis me reconduire chez moi en fin d'après-midi. Pour autant, je sais déjà que le personnel hospitalier ne va rien faire pour me faciliter les choses. Celui-ci ne comprend même pas que nous ayons besoin d'être en contact téléphonique plusieurs fois par jour ; que, si, l'un d'eux oublie de poser le combiné téléphonique à portée de la main de Vanessa, elle est incapable de l'atteindre seule. Mes appels résonnent dès lors dans le vide, ce qui accentue davantage encore la souffrance de notre séparation forcée. Quand Vanessa est mal installée sur son fauteuil ou dans son lit, qu'elle glisse, personne ne vient la secourir. Je le sais, parce que j'en ai été le témoin à plusieurs reprises. Il a fallu de longues minutes pour que quelqu'un arrive et la remette d'aplomb. Alors, désormais, elle n'ose plus appuyer sur le bouton rouge "d'urgence", de crainte de se faire réprimander par les aides-soignants. Elle préfère endurer plutôt que gêner. Si c'est moi qui intervient, je suis considéré comme un "emmerdeur".
 
Et ce ne sont là que quelques anecdotes parmi les plus récentes. Ce genre de situation se renouvelle quotidiennement. Moi-même, je suis au bout du rouleau. Je mange mal et peu. Je tiens à peine sur mes jambes, le matin, quand je me lève. Je suis sujet à des crises d'angoisse et d'anxiété extrêmes provoquant des poussées de furonculose ou des gingivites à répétition. Atteint de la maladie de Sturge-Weber, je suis parfois victime de crises de convulsions ; elles se manifestent surtout lorsque je suis en proie à un stress, à une pression, à une fatigue, à une détresse, extrêmes. Or, depuis des mois que Vanessa et moi sommes confrontés à cette succession de violences psychologiques et de maltraitances humaines, non seulement les symptomes de sa sclérose en plaques se sont multipliés au point qu'elle soit hospitalisée, mais de plus, mon propre état de santé en est profondément altéré.
 
Par contre, de ça, nul n'en tient compte : que, pour endurer tout ceci, je me bourre d'anti-anxiolytiques et de tranquillisants du matin au soir, que la nuit, je prenne des somnifères qui font de moins en moins effet puisque, régulièrement, je suis la proie d'insomnies, ça n’intéresse personne. Que je ne parvienne presque plus à me concentrer sur quoi-que-ce soit, que, même pour lire ou pour regarder la télévision, mon attention est anémiée, personne ne s'en préoccupe. Que je perde la mémoire, y compris pour les tâches les plus anodines de la vie quotidienne - même éteindre le bouton d'une lumière ou fermer le battant d'un placard, alors que je venais d'y penser quelques secondes plus tôt, ça s'efface instantanément de ma mémoire -, y compris à propos de ce quelqu'un m'a dit quelques heures ou quelques minutes auparavant, tout le monde s'en fiche. Je me noie désormais dans un verre d'eau. Tout est compliqué, tout est usant, tout demande des efforts surhumains de ma part. Mais, "ce n'est pas grave, l'essentiel n'est-il pas qu'on nous ballade, Vanessa et moi, le temps que les fêtes de fin d'année soient terminées. Ensuite, on verra bien ce qu'il en est...".
 
Sauf qu'ensuite, ce ne sera pas terminé, loin de là. Si le logement que Sarthe Habitat nous a proposé nous est alloué, moult démarches dans le but de quitter Auvers le Hamon et emménager au Mans, vont devoir être effectuées. Et dans un délai assez bref, pour que tout soit accompli correctement. J'en crève de peur ; de devoir m'attaquer à de telles démarches est une souffrance insupportable, insurmontable. Elle me détruit, elle me tue à petit feu. Lentement mais sûrement, comme un mur que l'on construit pierre après pierre, chacune de ces dernières est un élément qui amplifie ma déliquescence généralisée.
 
Alors que j'ai un besoin vital de repos, de calme, de tranquillité, et de sérénité, mon esprit tout entier est tourné vers un seul objectif : récupérer ma compagne ; qu'elle soit de retour chez nous au plus tôt ; non seulement, parce que c'est ce qu'elle désire, mais également parce que c'est ce que je souhaite. Même si toutes les conditions idéales ne sont pas réunies pour qu'elle soit prise en charge de manière optimum, au moins serions-nous ensemble ! Au moins, je serai présent pour l'aider, même s'il n'y a que moi pour cela, puisque des auxiliaires de vie, nous ne bénéficions pas de leur présence pour le moment. Au moins, nous pourrions retrouver un semblant de vie commune, nous pourrions profiter de moments partagés, de cette joie et de ce bonheur d'être l'un avec l'autre en permanence. Mais non ! Tout cela nous est interdit ! Tout cela nous est refusé.
 
Nous sommes les prisonniers d'un système qui ne se soucie pas des volontés de ses patients et des aspirations de leurs conjoints. Et encore moins lorsque ces derniers sont particulièrement fragilisés par la situation à laquelle ce même système les confronte envers et contre tout. L'empathie, la bienveillance, la compréhension, la prise en compte des besoins de ceux et celles qui n'en peuvent plus de ce que ce système leur fait subir, celui-ci n'en n'a cure. Il distille des informations contradictoires et partielles dans le but de décourager ceux et celles qui expriment leur colère ou leur ras-le-bol. Il menace ou infantilise, pour bien faire comprendre que votre opinion ou vos suppliques, il s'en moque éperdument. Et le pire, c'est que chaque membre du personnel en est un rouage : individuellement, il est amical, il est à l'écoute, il est complaisant, il est prévenant...
 
Par contre, aussitôt que ses fonctions le rappellent à l'ordre, l'humanité dont il faisait preuve quelques minutes auparavant se dilue instantanément. Il redevient cette machine à broyer qui, parce qu'elle a mille choses à gérer en même, qui, par manque de temps et de personnel, se fout totalement de la brutalité et de la sévérité qu'elle renvoie aux patients et à leurs conjoints ; comme c'est le cas pour Vanessa et moi depuis trois mois que nous les endurons.             
 
Et après, on nous montre du doigt. Et après, on nous juge et on nous condamne parce que nous tentons désespérément de nous libérer de cette situation qui nous détruit. Et après, on nous dit qu'il faudrait mieux faire comme ceci ou comme cela. Et après, on exige de nous des choses que, justement, nous ne parvenons pas à endurer. Des choses qui, au contraire, nous rendent fou de douleur et de désespoir. Des choses que, si ceux et celles qui nous les édictent étaient à notre place, ils ou elles ne les supporteraient pas pour eux-mêmes ou pour leurs proches. Mais bon, il est dit qu'ils nous ferons endurer tout ce que l'imagination humaine peut inventer comme obstacles, comme épreuves, comme difficultés, pourvu qu'ils continuent à avoir la conscience tranquille...
 

Dominique Capo

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