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Mes Univers
18 décembre 2022

Je suis usé :

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Oui, je suis usé ! Oui, je suis à genoux ! Car l’hôpital du Bailleul, près de Sablé sur Sarthe, où est actuellement hospitalisée ma compagne Vanessa Ruiz, est une véritable machine à broyer ses patients et leurs conjoints.

 

Combien de fois Vanessa a-t-elle été changée de service depuis qu'elle y est de retour il y a deux semaines de cela ? Trois fois ! A son arrivée, elle a été installée en Médecine 2, au deuxième étage du bâtiment. Si ce n'est ses soins les plus élémentaires, elle a été continuellement isolée. Quand elle était mal positionnée dans son fauteuil ou dans son lit, elle n'osait pas appuyer sur le bouton rouge à coté d'elle. Vanessa, timide et "taiseuse" comme elle est, n'osait pas exprimer ses nécessités de l'instant. Elle préférait endurer la souffrance et l'inconfort de sa position, plutôt que de "gêner" ; surtout en voyant les aide-soignants, les infirmiers, les médecins - hommes ou femmes - à courir en permanence dans tous les sens pour pallier au manque de personnel chronique de leur secteur d'activité, ainsi que pour gérer les urgences dont ils devaient s'occuper dans la précipitation.

 

Ensuite, son médecin l'a transféré dans un service où des séances de kinésithérapie lui sont apportés. Très bien ! Il a tout de même fallu une bonne semaine sans qu'on ne se soucie de son état de santé. Elle a la sclérose en plaques, et revenait d'un séjour d'un mois aux Capucins, qui est un centre hospitalier à Angers spécialisé dans la rééducation motrice, et où elle avait été prise en charge dans ce but. Un mois, cependant, où on lui a donné de la bouillie à manger - elle a perdu cinq à sept kilos -, où lui téléphoner correctement relevait souvent du parcours du combattant : mauvais fonctionnement de la ligne téléphonique, oubli de ses soignants de lui poser le combiné à portée de la main afin qu'elle puisse le décrocher facilement. Qui-plus-est, jusqu'à peu de temps avant la fin de son séjour aux Capucins, aucune information sur l'évolution de son état de santé ne m'a été fourni par ses soignants. Il a fallu que j'insiste, et lourdement, et durant de jours, avant que l'un d'eux ne me contacte afin de me dire leur diagnostic.

 

Enfin, vendredi dernier, pour cause de Covid, on l'a encore changé de chambre ; "par précaution", évidemment, puisqu'elle n'en n'était pas infectée. Du jour au lendemain, sans que je ne sois prévenu par quiconque, et alors que j'avais utilisé des transports en commun et que ce trajet aller-retour est extrêmement épuisant pour moi, j'ai débarqué au Bailleul pour me voir interdire l'accès à sa chambre. Pire : je n'ai que deux heures de visite du fait de ces conditions de transport. J'ai attendu un moment avec elle, ses affaires posées sur son lit. Au bout d'une heure environs, ils l'ont accompagné en salle d'attente. J'espérais qu'elle puisse gager sa nouvelle chambre avant que je ne sois obligé de la quitter pour rentrer à mon domicile. Eh bien, non ! Autant faire souffrir les gens jusqu'au bout : ce n'est qu'une vingtaine de minutes après mon départ qu'ils l'y ont conduit.

 

J'ai cru devenir fou, de devoir l'abandonner ainsi, livrée à elle-même. Seule, anxieuse, désespérée, et moi, fou d'angoisse, au bord de la crise de nerfs à cause de cette pression dantesque exercée à notre endroit. Alors que je souhaitais profiter de ces deux heures pour renouveler son abonnement télévisuel, j'ai dû me dépêcher pour le faire. Alors que la maladie de Sturge-Weber et l'hémiplégie partie du coté droit de mon corps m'interdisent de marcher rapidement ou de courir, alors que le stress provoque chez moi des crises de convulsions inopinées, on m'oblige à supporter l'insupportable.

 

C'est d'autant plus insupportable que l'assistante sociale du Bailleul qui est sensée se charger du dossier de ma compagne, m'a téléphoné à mon domicile la veille. Elle n'a fait qu'effleurer les cas de Covid qui y sont récemment apparus. Elle ne m'a même pas expliqué que le secteur où est Vanessa allait être mis "en quarantaine" le lendemain. Non, notre conversation s'est essentiellement concentrée sur ce point : Ça fait trois mois que Vanessa et moi sommes séparés. Trois mois d'Enfer, après un Été monstrueux que nous avons dû subir, et dont le résultat a été une nouvelle poussée inflammatoire de sa sclérose en plaques ; augmentée d'une mycose vaginale et d'une infection urinaire.

 

Ça fait trois mois que Vanessa et moi n'en pouvons plus de cette situation. Je me bats de toute mon âme, je mets tous mes efforts, souvent au-delà de mes capacités et de mes possibilités, à trouver des solutions viables. Pour une solution agréée, dix problèmes supplémentaires sont posés. Sur ces dix nouveaux problèmes, un est vaincu, dis autres apparaissent immédiatement. C'est infini. Ainsi, normalement, Sarthe Habitat nous a trouvé un logement adapté aux besoins de Vanessa au Mans. Notre dossier doit passer en commission le 20 décembre ; et il y a de grandes chances qu'il nous soit octroyé.

 

Hourra, hourra !, devrait-on s'exclamer. Et bien, pas du tout. Depuis, les informations contradictoires sur l'intervalle entre le 2 janvier et notre déménagement, aux alentours du 15 février si tout va bien, ne cessent de s'accumuler. D'une part, l'organisme qui prenait en charge la toilette de Vanessa avant son hospitalisation nous promet qu'il va essayer d'augmenter ses passages à domicile à l'issue des fêtes de fin d'année. D'un autre coté, des personnels soignants du Bailleul m'ont informé qu'ils souhaitaient la garder jusqu'au moment où nous déménagerions. Et enfin, d'autres personnels m'ont indiqué que le Bailleul envisageait son retour chez nous à la mi-janvier. Il y a de quoi devenir fou à se taper contre les murs.

 

Par ailleurs, alors que je désirais m'entretenir avec une aide-soignante pour l'informer que je passerai le 24, puis le 25, puis le 31 décembre avec ma compagne de la fin de matinée à la fin d'après-midi, et que je déjeunerai avec elle, là encore, impossible de me consacrer à cette tâche. Car, heureusement, dans mon malheur, j'ai un accompagnateur qui s'est dévoué pour m'emmener la voir ces trois jours-là, et pour me ramener chez moi. Alors que c'est déjà une souffrance indescriptible, une souffrance à rendre fou pour quelqu'un qui a les nerfs particulièrement fragile à cause de situations de ce genre qu'il ne cesse d'endurer, cette sorte de réconfort est toujours le bienvenu.

 

Mais non, là aussi, les personnels du Bailleul rendent les circonstances plus difficiles, plus kafkaïennes qu'elles ne le sont déjà. Elles ne comprennent pas que je désire être auprès de ma compagne le plus souvent possible. Que je souhaite lui téléphoner une fois le matin, une fois l'après-midi, une fois en début de soirée, alors qu'elle n'a que moi à qui se raccrocher au sein de cet univers, au sein de cette machine à broyer les gens. Ces personnels ne comprennent pas ma démarche de vouloir partager ces jours soi-disant festifs avec elle - j'aurai éminemment que ce soit parce qu'elle aurait réintégré notre logement -, alors qu'elle est hospitalisée.

 

A chaque fois que je les ai au téléphone ou que je leur parle de visu, je leur exprime ma colère et mon épuisement nerveux et psychologique lié aux entraves qu'ils ne cessent d'accumuler. Chacun(e) me répète à l'envi : "Je vous entends ; j'entends votre colère et votre fatigue", etc. Ces mots qu'ils prononcent sont des mots standards à prononcer face aux individus déterminés comme moi. Ils sont sensés apaiser "l'éventuel forcené" que je ne suis pas. En effet, je ne cesse de répéter à mon interlocuteur que ce "n'est pas à lui que j'en veux personnellement, mais qu'il n'est qu'un rouage d'une machinerie qui ne tient aucun compte des besoins de leurs patients, et des angoisses de leurs familles". En fait, pour eux, leurs patients sont des dossiers à "gérer" au mieux de leurs moyens et du personnel disponible. Il faut aller vite pour se concentrer sur ce qui est le plus urgent. Le coté humain, les ravages émotionnels qu'ils provoquent chez les proches du patient, ça les laisse froid et indifférents. Ils n'en tiennent aucun compte.

 

Or, je suis moi-même malade ; je suis moi-même handicapé ; je suis moi-même fragilisé à cause de cette situation intenable à laquelle je suis confronté. Je suis moi-même vulnérable à cause des aléas d'une existence depuis mon enfance qui m'a plusieurs fois détruit. Et, comme si ce n'était pas suffisant, non seulement, ces soignants s'acharnent à appuyer là où mes blessures passées ne guériront jamais, là où je hurle de douleur dès qu'on effleure cette partie de mon âme et de mon cœur. Mais, en plus, Vanessa en est autant victime. Elle qui aimerait rentrer chez elle, même si tous les aménagements nécessaires à la prise en charge de sa maladie ne sont pas optimums, on le lui refuse. Elle qui est malheureuse d'être éloignée de moi depuis trois mois alors que nous sommes un couple éminemment fusionnel, nul n'en tient compte.

 

Où est l'humain, dans de telles situations ? Les patients ne sont que des numéros de dossier qu'il faut traiter comme tels. Leurs proches, encore plus lorsque eux-mêmes sont fragiles pour tout un tas de raisons, ils ne sont ni considérés ni accompagnés humainement. Ils sont plutôt vu comme des sources de soucis supplémentaires. Plutôt que de trouver des solutions pour que le patient retourne auprès des siens afin de libérer des chambres qui seraient plus utiles pour des malades qui en ont gravement besoin, on préfère tergiverser. On préfère se consulter, on préfère atermoyer, on préfère pousser les patients et leurs proches au désespoir. En fait, l'idée de ces personnels en agissant ainsi, c'est de décourager ceux et celles qui voudraient faire bouger les choses ; et ce, pour les laisser travailler à leur rythme, pour se concentrer sur des patients qui nécessitent leur présence, tout en laissant à l'isolement ceux qui n'en n'ont pas un besoin vital. L'idée est encore de préserver l'institution à tout prix : en effet, imaginons que l'on renvoie un de ces patients chez lui et que des complications y apparaissent ensuite. La hantise de cette institution, et de tous les rouages dont est elle est parée, c'est que ceux-ci et leurs familles portent plainte contre elle ; et que le scandale ne l’éclabousse dans les journaux ou sur les réseaux sociaux.

 

Voilà pourquoi Vanessa est toujours au Bailleul. Voilà pourquoi je crie mon désespoir et ma souffrance de ne pas pouvoir être avec elle au quotidien, chez nous, à la face du monde. On me dit : "tenez bon ; il n'y en a que pour quelques semaines, le temps que vous déménagiez au Mans. Ce n'est pas long.". Ces personnes qui me tiennent de tels propos, sont-elles à ma place ? Sont-elles à la place de Vanessa ? Sont-elles à la place de tous ces autres patients et de toutes ces autres familles qui vivent le même calvaire que nous ?

 

Non ! Bien-sûr que non ! En ce moment, ces personnes songent aux vacances de fin d'année qui approchent à grand pas. Elles songent à préparer le repas du réveillon ; elles songent aux cadeaux à offrir et qui vont orner leur sapin de Noël le soir du 24 décembre. Elles pensent à leurs enfants ou à leurs parents dont elles attendent l'arrivée avec impatience pour partager ces instants heureux. Par contre, elles ne pensent pas - ou peu - à ceux et celles qui sont isolés dans leurs chambres d’hôpital et qui ne voient personne de la journée ou presque. Elles ne pensent à leurs proches qui seront séparés d'eux ou d'elles, qui seront aussi seuls qu'eux ou elles et qui pleureront au moment où la plupart des gens se réjouiront d'être ensemble.

 

Qui est capable de supporter tout ça - et tout ce que je ne révèle pas ici ; il faudrait un livre-témoignage pour ce faire - ? Qui et pourquoi certain(e)s s'octroient le droit d'infliger de telles tortures mentales aux plus fragiles et aux plus faibles d'entre nous ? Ces personnels soignants qui, individuellement, sont des gens méritants et bienveillants, à l'écoute et attentionnés, plaisants et agréables, se transforment aussi en rouages d'une machinerie grippée et rouillée qui ne tolère pas qu'on ne se plie pas à ses injonctions.

 

Comme dans bon nombre de secteurs de notre société contemporaine, elle nous oblige à courber l'échine, parce qu'elle part du principe que nul ne peut - ne doit - remettre en question ses décisions et ses diagnostics ; mème s'ils n'ont rien à voir avec la maladie pour lequel le patient qui est dans ses murs est traité. Elle prétend tout faire pour le bien du patient. Mais en fait, c'est à elle qu'elle pense avant-tout. Elle prétend prendre soin du patient, alors que celui-ci serait mille fois plus heureux et épanoui chez lui ; même si l'ensemble des occlusions qu'elle offre en milieu hospitalier n'y sont pas administrées.

 

Nous ne vivons pas dans un monde parfait. A l’hôpital également, des risques de maladie inopinées existent. La preuve, puisque l’hôpital du Bailleul est lui-même touché par le Covid ! Ces risques, ils se manifestent partout. Le risque zéro est une utopie. Ou alors, si on souhaite les minimiser au maximum, autant interdire les interactions humaines dans tous les domaines d'activité. On a vu le résultat en Chine avec la maxime de ses autorités : "zéro Covid". Elles en sont revenues ! Pour toutes les autres maladies, c'est la même chose. Et pourtant, c'est le même mode de fonctionnement qui est employé ici. Et ce mode de fonctionnement détruit Vanessa, et me détruit également...

 

Dominique Capo

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