Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mes Univers
6 janvier 2022

Le contrôle à la recherche d'emploi, à quoi cela aboutit-il parfois !

X1

Monsieur,
 
Au vu de la situation particulière qui est la mienne, je joins cette missive à votre formulaire de contrôle de recherche d'emploi. Et j'espère que vous comprendrez combien celle-ci est complexe, est spécifique, parce que j'avoue que je suis très angoissé et très stressé par la pression que votre courrier fait peser sur ma compagne et sur moi-même.
 
Je suis atteint de la maladie de Sturge-Weber, qui est une maladie orpheline. Je suis doté d'un angiome facial interne et externe. Sa partie interne est un imbroglio de veinules amalgamé à mon cerveau, qui a provoqué de graves crises de convulsions à l'age de six mois. En ont résulté une hémiplégie complète de la partie droite de mon corps. Après de nombreuses années de rééducation, j'en ai retrouvé fragmentairement l'usage. Malgré tout, ma jambe droite est un peu plus courte que la gauche. Quand je marche, je boite.
 
Quand je reste un certain temps debout, que ce soit de manière statique ou en mouvement, je fatigue vite. Je finis par buter, voire, par chuter parce que mon corps ne me soutient plus.
Pareillement pour mon membre supérieur droit. Mes doigts sont incapables de tenir un objet. Je n'ai aucune dextérité de la part de ma main. Mon bras en lui mème est inutilisable. Qui-plus-est, je prends des médicaments qui atténuent les crises de convulsions que je subis parfois depuis cette époque. Mais ils ne les font pas disparaître totalement. Alors, si je suis stressé, angoissé, sous pression, bousculé, etc., elles ressurgissent épisodiquement. Et dans ce cas, mon coté droit est totalement inepte durant de longues minutes. Secoué de spasmes, comme s'il était pris dans un étau, la maladie se réveille outrageusement.
 
J'ai ensuite besoin de repos pour récupérer le peu de motricité que j'ai conservé. J'en ai également besoin parce que ce sont des moments extrêmement physiquement et psychologiquement.
Évidemment, je ne conduis pas. Je n'ai pas de permis de conduire, puisque les médicaments que je prends altèrent mon attention et ma concentration. Je ne peux me déplacer à pied que quelques centaines de mètres tout au plus autour de chez moi. Par ailleurs, je vis depuis 2003 avec ma compagne. Elle a une atrophie du cervelet depuis sa naissance, ce qui la rend plus lente que la moyenne des gens dans ses mouvements. Comme si cela ne suffisait pas, en 2012, nous avons brutalement découvert qu'elle est atteinte de sclérose en plaques. Elle est suivi par un neurologue tous les six mois depuis. Comme moi, elle prend des médicaments afin de ralentir la détérioration de son état de santé. Car, nous savons qu'à terme, si son pronostic vital n'est pas engagé et qu'elle a une espérance de vie « normale », elle finira en fauteuil roulant et devant être en permanence aidée dans toutes les tâches de son quotidien.
 
Pour l'instant, son état est à peu près stabilisé. Néanmoins, il régresse lentement : elle ne se déplace à l'intérieur de notre appartement qu'avec un déambulateur. Elle a des pertes de mémoire fréquentes. Pour se déplacer à l'extérieur de chez nous, ce n'est qu'avec l'aide d'un fauteuil roulant, et accompagnée d'une personne habilitée à véhiculer son fauteuil roulant. De fait, une heure par semaine, quelqu'un d'une association spécialisée vient la promener dans le quartier où nous habitons.
 
Le reste du temps, c'est moi qui, malgré mon handicap et ma maladie, suis son « Aidant ». Pas quelques heures par jour ! Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, 365 jours par an, et sans congés, sans week-end, ou sans jours férié.
Je lui voue le maximum de mes capacités et de mes possibilités. C'est moi qui m'occupe de tout. Administrativement, financièrement, médicalement, sa toilette, la préparation des repas… Je prends en charge les symptômes réguliers de sa sclérose en plaques. Quand elle tombe, c'est moi qui la relève, seul, alors que je n'ai qu'un bras valide sur lequel m'appuyer. Je dois être hyper-vigilant pour qu'elle ne provoque involontairement aucune catastrophe domestique. Ce qui n’empêche pas d'advenir parfois. Alors, je suis seul à devoir pallier à ses déficits, à réparer ses erreurs, à faire le nécessaire pour rétablir la situation. J'y use ma santé physique et mentale, qui sont déjà extrêmement fragiles du fait de ma propre situation.
 
Dans ces conditions, il m'est impossible de la laisser seule chez nous. N'ayant plus de contacts avec sa famille depuis des années, ma famille habitant à plus de 300 km de Valognes, je suis son unique soutien. Alors, déjà que je ne peux pas m'éloigner de mon domicile, depuis la découverte de sa sclérose en plaques, je suis dans l'incapacité et l'impossibilité de le quitter plus de quelques minutes. Qui lui viendrait en aide si je n'étais pas présent ?
Ça ne m’empêche pas d'être en quête d'un emploi adapté à ma situation. Mais, un emploi à domicile, en télé-travail. Ma formation d'Adjoint administratif ou de Secrétaire administratif, je l'ai régulièrement remise à niveau au fil des décennies.
 
Que ce soit à Paris, à Laval, à Sablé sur Sarthe, ou à Valognes, les formations qui m'ont été proposées, je m'y suis toujours soumises. Combien de fois m'a t'on fait refaire mon CV ou ma lettre de motivation ? Combien de fois m'a t'on indiqué comment et où chercher les renseignements utiles à mes démarches d'emploi ? Comment s'habiller, comment se positionner, quels mots employer ou ne pas employer, etc ?
 
Malheureusement, handicapé je suis, et un handicapé au sein d'une entreprise, privée ou publique, est de moins en moins accepté ou toléré. Et j'en parle d’expérience. Il faut adapter le poste proposé à l'handicapé qui y travaille. Sa rentabilité, ses performances, son attention, le temps qu'il consacre aux activités qu'on lui décerne, sont différentes que celles des gens « normaux ».
 
A une époque, j'ai été employé à la Bibliothèque Nationale ; c'était entre 1992 et 1995. Mes supérieurs avaient adapté mon poste à mes spécificités. Entre 1999 et 2002, après avoir passé le concours prévu pour les personnes handicapées pour entrer dans la fonction publique, j'ai été muté à Saint-Denis, dans le 93. Trois ans durant, j'ai travaillé à l'Université Paris XIII, puis Paris VIII. Sur des postes qui n'avaient rien à voir avec les aptitudes que l'on m'avait demandé lors de ce concours. Ces postes n'ont jamais été adaptés pour une personne handicapée par mes supérieurs. Pendant trois ans, j'ai fourni des efforts au-delà de ce que ma constitution pouvait supporter. Quand on m'a finalement signifié que je n'étais pas titularisé, je me suis effondré du jour au lendemain. Et j'ai été hospitalisé dans la foulée pour cause de « burn-out ». Je ne m'en suis pas véritablement remis.
 
Ensuite, j'ai rencontré ma compagne, j'ai déménagé pour venir habiter avec elle à Valognes, et nous avons découvert l'existence de sa sclérose en plaques. Il va sans dire que, pour tenir le coup, je suis sous anti-dépresseurs et anti-anxiolytiques.
 
Il va sans dire également que, malgré tout ça, je ne renonce pas à exercer un emploi à mi-temps, et à domicile, genre télé-travail. A mon rythme, sans pression, sans stress, cependant. Au risque, évidemment, d'altérer un peu plus mon état de santé. Au risque de provoquer chez moi des crises de convulsions ou des crises d'angoisse détériorant encore davantage mon état de santé physique et mental.
 
A combien d'employeurs ai-je envoyé mon CV et une lettre de motivation au cours de ces dernières années, malgré tout. A combien ai-je ensuite envoyé des mails ? Combien de fois ai-je consulté les annonces présentées sur le site de Pôle Emploi, ou sur d'autres sites spécialisés dans la recherche d'emploi ? Des centaines, des milliers de fois ? Jamais je n'ai renoncé. Chaque jour, je m'enquiers de l'actualité de l'emploi. Est-ce que mes interlocuteurs me répondent, même négativement ? Est-ce qu'ils me téléphonent pour s'entretenir avec moi ?
 
Nada, rien ! Je suis un cas trop lourd. Un cas trop particulier pour entrer dans les cases qu'ils cherchent, qu'ils exigent. Et vous savez, tout comme j'en suis éminemment conscient, que le monde du travail, que le monde de l'entreprise, est un univers de plus en plus impitoyable. Celui-ci attend de la personne qui l'intègre, qu'il soit apte immédiatement, sans ralentir ou freiner la productivité de plus en plus poussée de ceux et celles qui y pourvoient. Ce qui est, bien-entendu, incompatible avec mon cas, ou avec d'autres cas aussi spécifiques que le mien, et que Pôle Emploi a dans ses bases de données.
 
Sans compter qu'à l'approche des Élections Présidentielles, Pôle Emploi a pour consigne de mettre la pression sur les demandeurs d'emploi. S'ils sont dans cette situation, c'est qu'ils n'en font pas assez, c'est qu'ils ne fournissent pas assez d'efforts pour trouver n'importe quel travail, même si ce dernier n'est pas dans leurs attributions. Alors, les cas particuliers comme le mien ? Peu importe de leur rajouter de l'angoisse au stress, de la pression à la fragilité qui est la leur !
 
Je suis suivi par une référente Pôle Emploi sur le site de Pôle-Emploi Cherbourg. Ça fait à peine quelques semaines qu'elle a repris mon dossier. Auparavant, pendant deux à trois ans, mes référents se sont succédé environs tous les six mois. Auparavant encore, mon référent, avec lequel j'avais longuement conversé sur la particularité de mon cas, avait parfaitement réalisé qu'on ne pouvait pas me demander autant que l'on exigeait des gens « dans les normes ». Il avait réalisé qu'il fallait me laisser aller à mon rythme, selon mes moyens et mes capacités. Et il n'a jamais eu à se plaindre de moi. De ma propre initiative, je lui ai envoyé un mail de temps en temps pour l'informer de la progression de mes recherches, des voies que j'explorais. Nous avons eu des rendez-vous téléphoniques épisodiquement. J'ai systématiquement suivi ses indications, répondu aux annonces d'emploi qu'il m'a fourni. Sans résultat.
 
Alors, lorsque me référente Pôle Emploi actuelle s'est emparé de mon dossier, et a eu un entretien téléphonique avec moi, je lui au brièvement fourni toutes les informations que je relate depuis le début de cette missive. Mais, comment résumer en quelques mots ce que je viens de vous expliquer ? Néanmoins, après deux ou trois « bugs », elle m'a dit qu'elle allait me réorienter sur la branche Cap Emploi de Pôle Emploi. Nous avons un rendez-vous téléphonique ensemble le 27 janvier dans ce but.
 
De plus, elle m'a avoué que la seule possibilité qu'elle voyait pour moi, c'était de devenir « l'Aidant rémunéré » de ma compagne, ainsi que les nouvelles dispositions gouvernementales les permettent depuis un ou deux ans, je ne sais plus... De fait, puisque l'Allocation Adulte Handicapée (AAH) de ma compagne doit être renouvelée actuellement, j'ai entamé les démarches en ce sens. Toutefois, avec la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), la gestion des renouvellements de dossier AAH est de six mois minimum. Et l'Allocation Spécifique de Solidarité (ASS) que m'alloue Pôle Emploi m'est indispensable pour notre budget commun. Car elle vient compléter son AAH et la mienne, dans le but de régler les dépenses liées à nos maladies respectives.
 
Notamment en ce qui concerne ses protections contre les fuites urinaires ou l'Aide Ménagère que nous employons vingt heures par mois pour ses tâches ménagères auxquelles nous sommes dans l'incapacité de souscrire.
 
Enfin, il apparaît que ma Maman, qui habite à 300 km de Valognes, nous a vraisemblablement trouvé une maison située à moins de deux-cents mètres de chez elle. C'est juste une question de quelques mois, pour que nous déménagions dans la Sarthe. Une fois son locataire actuel parti – il est muté à Tours prochainement -, nous y habiterons. Il s'agit de charges supplémentaires pour moi et ma compagne. Beaucoup de stress, beaucoup de démarches à effectuer – retrouver un neurologue, un kinésithérapeute, un médecin traitant, une aide ménagère, une aide à la personne, sans compter le déménagement lui-même.
 
Et voilà qu'en plus de cela, comme si ce n'était pas suffisant, un contrôle aléatoire de recherche d'emploi de la part de vos services vient nous perturber un peu plus. Je suis conscient que vous ne faites que votre travail, et que contrôler les chômeurs fait partie de vos attributions. Je gage que la pression exercée sur vous par votre hiérarchie doit être énorme. Surtout en cette période si incertaine, si politiquement fiévreuse.
 
Néanmoins, vous ne vous imaginez sûrement pas à quel point la peur est en permanence ma compagne pour l'ensemble des raisons citées ci-dessus. Vous ne vous imaginez pas l'angoisse continuelle qui est la mienne. Se sentit jugé et condamné, se sentir coupable de ce que je vis, malgré moi. Coupable d'être différent, d'être un cas que l'on ne peut pas faire entrer dans les cases où on voudrait le mettre. A une époque où chacun doit correspondre à des critères, à des « normes », à des catégories imposées, exigées, des gens comme ma compagne et moi sont stigmatisés. La souffrance liée à leur difficultés, à leurs épreuves, aux obstacles qu'ils doivent surmonter, est multipliée. Ce n'est déjà pas simple pour des individus qui ne sont ni malades ni handicapés. Alors, pour nous, qui devons redoubler d'efforts alors que nos moyens sont moindres.
 
Et encore, dans mon malheur, j'ai la chance de savoir m'exprimer par écrit. Mon passage à la Bibliothèque Nationale et dans d'autres établissements du même type à Paris, à Laval, ou à Sablé, au moins, m'aura été très utile pour ça. Je jongle facilement avec les mots. Je suis ce qu'on appelle un « érudit ». Quand j'en ai le temps et l'énergie, j'écris même des articles sur tout un tas de thèmes divers et variés sur les réseaux sociaux, et j'ai une petite communauté de lecteurs qui se penchent sur les textes que j'y publie. Je suis en train de rédiger mes Mémoire, là encore, quand je le peux. Car, comme vous vous en doutez peut-être, ce que je vous ai relaté dans cette lettre n'est qu'un infime fragment de ce qu'a été mon parcours personnel. Dès lors, j'use des mots pour tenter humblement et modestement de faire entendre ma voix. J'essaye de témoigner des embûches et des chausse-trapes dont je suis l'objet.
 
La dernière en date étant ce contrôle de recherche d'emploi issu de vos services.
 
Alors, comprenez que je n'espère qu'une chose : c'est satisfaire à vos impératifs, pour que je puisse poursuivre mes démarches telles que je vous les ai signalées. Puis, ensuite, avoir le droit à un peu de calme, de paix, et de sérénité.
 
Si vous avez besoin de plus amples renseignements à mon propos, n'hésitez pas à me contacter par le moyen qui vous conviendra le mieux.
 
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes salutations les plus distinguées.
 
Dominique Capo
Publicité
Publicité
Commentaires
Mes Univers
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 287 660
Derniers commentaires
Archives
Mes Univers
Newsletter
Pages
Publicité