Se mettre à la place de celui qui souffre :

Quel est l'homme ou quelle est la femme qui peut comprendre et accepter qu'il y en aient qui souffrent tellement, qu'il y en a qui sont tellement meurtris dans leur chair, dans leur âme, et dans leur cœur, qu'ils ne sont plus capables de rien endurer ? Il faudrait, pour qu'ils ou qu'elles y parviennent, affronter les mêmes épreuves, éprouver les mêmes difficultés, tenter de surmonter les mêmes obstacles. Il faudrait qu'ils ou qu'elles soient déchirés, brisés, anéantis, blessés au point de ne plus être capables de se relever. Il faudrait qu'ils ou qu'elles ressentent en eux ou en elles les causes et les conséquences des ébranlements et des polytraumatismes dont est constellé leur vie.

Et encore ! Oui, et encore ! Parce que chacun ou chacune est différent. Et donc, chacun ou chacune réagit différemment à leur accumulation et à leur constance. Il y a des personnes en effet qui ont la force de caractère, qui ont la personnalité, qui ont l'expérience, qui ont la faculté morale ou psychique de les vivre sans que ces ébranlements et ces polytraumatismes les empêchent de se relever et de continuer à avancer. Il y en a qui sont susceptibles de se confronter à eux durant des jours, des semaines, des mois, ou des années, avant de s'écrouler et de ne plus pouvoir se redresser. Il y en a, enfin, qui sont dans l'impossibilité de leur résister, et qui sont emportés par eux comme si c'était une vague qui les submergeait et les noyait.

En fait, tout est une question de nuances. En fait, en fonction de sa situation, en fonction de sa personnalité, en fonction de son histoire, en fonction de son éducation, en fonction de tout ce qui fait que nous sommes tous et toutes différents les uns des autres, chacun et chacune n'endure pas ces événements de la même façon.

Alors, de quel droit, on se suppose compétent pour comprendre, commander, condamner, ou juger, celui à la place duquel on n'est pas. Quelle autorité a investi celui ou celle qui prétend savoir mieux que la victime de ces tourments et de ces chocs émotionnels, afin de le regarder de haut. Afin de lui marteler : "moi, je sais mieux que toi ; moi, je fais mieux que toi ; moi, je comprends mieux que toi.".

Celui ou celle qui s'y autorise a-t-il eu le même parcours que ce supplicié ? A-t-il ou a t-elle écouté - ou juste entendu - ses hurlements de terreur et de douleur ? A t-il ou a-t-elle ressenti ces traumatismes aussi intensément et aussi profondément ; avec quelles répercussions dans tous les domaines de sa vie publique ou privée, dans la manière dont ses relations avec autrui se sont construites à partir de ces bouleversements engendrés.

Mais, après-tout, ce n'est pas grave, c'est l'opinion ou le jugement de celui qui les émet qui compte. Ce n'est pas le ressenti ou le séisme dont cette victime est la proie qui est important. Ce n'est pas l'empathie, ce n'est pas l'humanité, ce n'est pas la compassion, ce n'est pas les larmes de peur, d'affliction, ou de désespoir qui ont leur considération. Ça, ils ou elles ne savent pas ce que c'est tant que ça ne les concerne pas directement. Ça, ils ou elles ne désirent pas le voir ; au contraire, ils ou elles le fuient, l'évitent, voire enfoncent davantage celui qui en est victime afin qu'il se mure dans le silence et l'obscurité. Là où il ne gênera personne en vérité.

Telle est la réalité des plus fragiles, des plus faibles, des plus traumatisés par les aléas de l'existence. Telle est la réalité de ceux et celles qui sont condamnés à se taire afin de ne pas déranger les gens à la vie bien ordonnée, à la vie bien structurée ; ces gens entourés et appréciés parce qu'ils n'ont pas de soucis de santé, parce qu'ils ne sont pas handicapés ou différents, et qui portent ce abominable fardeau sur leurs épaules chaque jour que Dieu fait...

Dominique Capo