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Mes Univers
15 décembre 2022

Mise au point de Dominique Capo :

Z1

J'ai remarqué que beaucoup de gens ont réagi à mon post alarmiste du mardi 13/12. Oui, je pense tous les jours à avaler mes somnifères et autres anti-anxiolytiques parce que je ne supporte plus l'insupportable. Parce que je n'ai pas d'autre choix que de supporter l'insupportable. Chaque jour est une épreuve, chaque geste est une souffrance. Chaque initiative entraine mille obstacles ; et en surmonter entraine l'apparition de mille obstacles supplémentaires. C'est sans fin. C'est destructeur autant physiquement que psychologiquement ou nerveusement.


Dans mon texte précédent, je vous ai parlé de ma compagne Vanessa qui est atteinte de sclérose en plaques. Si elle est actuellement hospitalisée, ce n'est pas parce que c'est nécessaire pour prendre en charge l'évolution de sa maladie. C'est uniquement parce qu'elle a besoin d'auxiliaires de vie, ou de ce qu'on appelle une "hospitalisation à domicile", afin de pouvoir rentrer chez nous dans les meilleures conditions possibles. Surtout en des circonstances comme celles que nous traversons où le manque de lit à l’hôpital est criant. Surtout quand on sait qu'une hospitalisation à domicile coute moins cher aux finances publiques qu'une hospitalisation "normale".

Vanessa est toute seule toute la journée. Les soins les plus élémentaires lui sont prodigués par des aide-soignants qui sont sans cesse à courir dans tous les sens parce qu'ils sont débordés. Des infirmiers, le médecin qui la suit depuis les débuts de son hospitalisation, elle ne l'a rencontré qu'une fois. Moi, son compagnon - et aidant non reconnu officiellement - qui vais la voir malgré les difficultés de déplacement que ça représente, je n'en n'ai vu aucun. Personne ne m'a renseigné sur rien. Une assistante sociale est censée s'occuper de son dossier pour la faire réintégrer son domicile, pour trouver les auxiliaires de vie aptes à se charger d'elle dans les meilleurs délais, mais là encore, aucune réponse de quiconque.

Ça fait trois mois que nous sommes séparés l'un de l'autre. Les seules réponses évasives qui nous sont données, c'est "vous comprenez, nous manquons de personnel. Vous habitez un petit village isolé. C'est trop loin de nos structures pour que notre personnel se déplace jusqu'à votre domicile pour s'occuper d'elle. Puis, c'est bientôt Noël ; les vacances de fin d'année approchent à grands pas. Le personnel est encore plus restreint qu'à l'ordinaire, dans ces conditions."

Bref, chaque solution qui pourrait être adoptée ou mise en place, et on nous rétorque : "ce n'est pas possible, c'est compliqué, il n'y a pas que vous, c'est déjà bien qu'elle soit hospitalisée, etc." Toute ma vie, et depuis que la sclérose en plaques de Vanessa s'est développée, et mille fois plus depuis que nous sommes arrivés en Sarthe en mai dernier pour nous rapprocher de ma mère, qui m'a aussitôt rétorqué "débrouille toi tout seul. Ce n'est pas mon problème, c'est le tien." Alors que nous avons tout sacrifié pour être plus près d'elle, que nous vivons dans un logement inadapté à nos besoins et à nos désirs les plus élémentaires, la seule réponse que l'on nous a donné, c'est "Patientez !" ou "Les Autres."

Comme des leitmotiv destinés à noyer le poisson, destinés à détourner notre attention, à nous culpabiliser de notre situation - comme si nous l'avions choisie ou demandée -, c'est à nous de baisser la tête, de courber l'échine, et de nous sentir honteux de demander à être aidé pour nous sortir de cette impasse. Et encore, je ne vous raconte pas toutes les facettes de l'Enfer que nous avons subi depuis que nous sommes arrivés en Sarthe. Un jour, je pense que je rédigerai un livre-témoignage à ce propos, parce qu'il y aurait beaucoup à dire.

Alors, non, je n'ai pas envie de mourir. Tous ceux et toutes celles qui s'imaginent qu'en absorbant mes somnifères ou autres anti-dépresseurs, c'est parce que je désire en finir avec la vie, que je veux abandonner Vanessa à son sort, que je souhaite faire du mal à ceux qui m'aiment et que j'aime, se font une idées simpliste, facile, et réductrice, de cet appel au secours désespérée. Non ! Ce que je ne supporte plus, c'est CETTE VIE LA. CETTE VIE INSUPPORTABLE, TELLEMENT DESTRUCTRICE, TELLEMENT EPROUVANTE, etc.

Comment des "gens normaux", qui ont une "vie normale", avec des "problèmes normaux", pourraient-ils entendre, comprendre, intégrer, tout ce que cela induit comme terreurs, comme solitudes comme tourments, comme désespoirs, comme traumatisme, comme humiliations, etc. d'être dans l'impossibilité et l'incapacité de résoudre ce genre de situation qui vous rend fou de douleur pour votre compagne et pour vous.

Je suis suivi par un psy. C'est bien ! Ça m'aide à avancer "psychologiquement" dans certains domaines que je n'avais pas vus auparavant. Ça m'aide à comprendre le pourquoi, le comment, le où, le qui ; ces grandes questions qui sont aux racines du mal dont je suis le prisonnier depuis si longtemps. Mais, est-ce que ça résout les situations auxquelles Vanessa et moi sommes confrontées ? Naturellement pas ! Au contraire, chaque événement actuel appuie un peu plus fort sur les souffrances et sur les tourments dont nous sommes l'objet.

Ça fait 19 ans que Vanessa et moi sommes en couple. Nous avons affronté bien des tempêtes main dans la main. D'abord, de la part de sa famille, qui a souhaité torpiller notre couple afin de la "récupérer", ensuite, de la part de cette maladie, enfin, de la part de ma famille pour laquelle nous sommes un poids mort. De plus, je suis moi-même handicapé et hémiplégique du coté droit de mon corps depuis ma naissance. Je suis atteint d'une maladie rare intitulée la "maladie de Sturge-Weber". Je suis parfois sujet à des crises de convulsions ; j'ai des problèmes dans beaucoup de tâches du quotidien.

Malgré cela, j'ai toujours fait des efforts - plus que je ne pouvais fournir parfois - pour aider ma compagne à affronter la sienne et à la soulager de ses soucis du quotidien. Parce que c'est mon rôle de compagnon qui l'aime d'être à ses cotés en toutes circonstances ; et même si c'est au détriment de mes propres difficultés. Je n'en tire aucune gloire, aucun honneur; Qui est au courant de ce que j'ai accompli pour Vanessa ? Personne ou pratiquement. Et ce n'est pas moi qui irait m'en vanter.

Oh, je sais très bien qu'il y aura toujours des gens qui viendront juger, condamner, critiquer, donner leur opinion sur ce qui devrait être fait, ce qui ne devrait pas être fait, ce qui pourrait ou aurait pu être fait, etc. Bien-sûr, c'est tellement simple, c'est tellement facile, quand on est à l'extérieur, quand on ne vit pas soi-même la situation dans laquelle nous sommes. De plus, chaque cas est différent. Chaque maladie, chaque personne atteinte de la même maladie - ou d'une autre - la subit et la ressent différemment. Et ce, en fonction de tout un tas de critères qui sont propres à cette personne et aux événements auxquels elle est confrontée.

Aujourd'hui, on met des gens dans dans des cases ; on s'occupe peu ou pas des cas "en attente", comme ma compagne qui demeure hospitalisée parce qu'il n'y a pas les effectifs nécessaires pour une hospitalisation à domicile. Cependant, depuis que j'essaye de crier notre désespoir, que je clame notre souffrance à cor et à cri, nombre de personnes - dans ce groupe ou dans d'autres -, ont liké, ont commenté mon post du 13/12 en étant horrifiés par l'idée que je veuille mettre fin à mes jours. Je le répète, ce n'était, ce n'est, qu'un SOS.

Parallélement, j'ai quelques personnes qui m'ont contacté d'une manière ou d'une autre pour me faire part de leur gentillesse, de leur soutien, de leur bienveillance, pour être à mon écoute, pour me proposer des solutions auxquelles je n'avais pas pensé. Ces dernières n'ont pas - encore - porté leurs fruits. Mais, au moins, ces personnes ont fait cette démarche envers moi, constatant par mes propos à quel point je suis isolé, à quel point je suis désemparé, à quel point je suis usé, à quel point je souffre d'être séparé de ma compagne. Parmi ces personnes, alors que les congés de Noel approchent, qui, comme moi, essayent de remuer ciel et terre, pour que Vanessa puissent réintégrer notre domicile au plus tot. Et je ne les remercierai jamais assez pour l'énergie qu'elles déploient, pour le temps qu'elles consacrent, dans ce but.

Je pense notamment à Sandrine, de Rennes, qui a téléphoné à l'hopital du Bailleul, pour essayer de faire bouger un peu les choses. Je pense aux gens de l'APF de la Flèche et du Mans, qui suivent notre dossier de près. Je pense aux bénévoles de l'association Mobile IT, qui me transportent jusqu'au Bailleul tous les deux jours l'après-midi. Je pense à O2, même si, avec les fètes de fin d'année qui approchent, son champs d'action est restreint. Je pense à cette journaliste du Maine Libre qui a l'intention d'écrire un article sur notre cas avant l'échéance tragique de Noel, et qui doit me recontacter sous peu. Je pense encore aux gens de l'Arche basés au Mans, qui nous aident à trouver un logement plus adapté à nos besoins et à nos désirs, en tant qu'handicapés et que malades.

Je pense également à toutes ces personnes atteintes de sclérose en plaques ou d'autres maladies extrémement invalidantes, qui sont face aux mêmes difficultés, aux mêmes épreuves, aux mêmes obstacles, que nous. Ces personnes qui sont voués à une souffrance et à une solitude extrème face à ce que la vie ou la nonchalance, l'indifférence, le manque d'écoute ou de bienveillance, dont elles sont la proie. Et ça me met dans une colère noire. Une colère irrépressible - non seulement pour mon cas et celui de Vanessa -, mais également pour toutes ces personnes qui subissent en silence. Des personnes dont les instances administratives ou médicales ne tiennent pas compte de l'inquiétude, des larmes, des désespérances, des blessures, des traumatismes, qu'elles leur infligent parce qu'elles ne se préoccupent pas d'elles correctement. Oui, ça me met dans une colère noire, "monstrueuse", démesurée.

Dans mon malheur, j'ai une toute petite chance : j'ai un don. J'ai un don pour l'écrit. Je sais jongler avec les mots avec aisance. Je sais verbaliser les pensées, les ressentis, les idées, les événements, etc. assez facilement. Je sais pondre des textes en quelques heures, comme d'autres savent construire un pur ou réparer un meuble. Je suis écrivain. Je suis historien. Doté d'une grande culture livresque, analysant les soubresauts de l'actualité au travers de certains de mes textes, l'écriture, la lecture, la réflexion analytique, les raisonnements approfondis sur tel ou tel sujet, sont le plus précieux des trésors que la vie m'a offert. Et je le chois, je l'enrichis, je l'alimente, je l'argumente, je l'étoffe... Je suis né pour ça.

Alors, j'écris. Je ne cesse d'écrire. En ce moment, je reprends d'anciens textes pour les corriger, pour les améliorer, pour les prolonger. Et, par leur intermédiaire, je m'interroge sur le Devenir de nos sociétés actuelles à brève, à moyenne, à longue échéance. Peut-être que ces thèmes ne parlent pas à beaucoup de gens. Et pourtant, la prise en charge du handicap, l'amélioration des conditions de vie des plus fragiles et des plus vulnérables, en sont des facettes non négligeables. Parce que c'est aussi au travers de celles-ci que l'on se rend compte dans quelle direction vont nos sociétés ; quelles sont leurs priorités, leurs urgences. Et donc, leur degré d'Humanité.

Et c'est là que l'on se rend compte, justement, que leur degré d'Humanité va décroissant. Elles pronent l'individualisme. Elles dressent les différentes catégories sociales les unes contre les elles, comme ça, ça leur évite de se rassembler et d'exiger de véritables changements de fond. Elles distribuent des milliards aux unes pour les calmer. Des milliards dont on ne sait pas ce qu'ils deviennent, qui servent on ne sait pas à quoi. Elles promettent tout et n'importe quoi afin d'apaiser les mécontents. Puis, elles se tournent vers d'autres catégories sociales qui se réveillent à leur tour pour en faire de même. Mais, finalement, rien de concret, rien de profond est entrepris pour résoudre les véritables difficultés auxquels nous sommes tous et toutes confrontés.

Vanessa, moi, vous, d'autres, en êtes les exemples parfaits, de ces disfonctionnements. Cette apathie chronique, ce manque de courage politique, cette négligence qui confine à la non-assistance à personne vulnérable en danger, ce manque de moyens - autant financiers qu'humains - pour des raisons de rentabilité et de performance à tout prix. Comme si l'humain n'était devenu qu'une machine à "faire du fric", à engendrer des dividendes, y compris dans le domaine de la santé.

Et après, on s'étonne qu'il y ait des personnes comme moi qui n'en peuvent plus, qui pensent au pire afin de sortir de cette impasse dans laquelle ce système les a conduit. Après, on s'étonne de ce désespoir, de cette peur, de cette souffrance, qui sont entretenus afin de décourager les personnes comme nous à crier leur colère, à exiger des réponses et des solutions viables. Car, voilà le but non avoué : nous décourager, nous isoler, que chacun de ces désespés reste dans son petit coin pour qu'il fasse le moins de bruit possible, et qu'il continue à se laisser écraser.

Que chacun de nous continue à être abandonné à son sort, à ce que les "gens normaux" continuent de demeurer indifférents et négligeants vis-à-vis de leur sort. Eux qui ont une vie bien réglée, des problèmes normaux de travail, de fins de mois difficiles, de prochains départs en vacances, de voiture, de famille, de scolarité de leurs enfants... Lequel d'entre nous, malade ou handicapé, ne donnerait pas tout ce qu'il a pour être confronté aux mêmes soucis qu'eux ? Ca nous ferait des vacances ! Qu'est-ce que nous nous sentirions soulagés, apaisés, d'être à leur place.

Alors, oui ! Je pense à ma Vanessa, seule, qui serait bien mieux à notre domicile, avec une prise en charge adéquate. J'aimerai pouvoir passer Noel en sa compagnie, chez nous, au calme, tranquille, entourés de personnes bienveillantes, qui nous voient tels que nous sommes réellement : des personnes handicapées peut-être, mais avec des qualités, avec une richesse d'âme et de coeur qui méritent d'être respectées et honorées. Avec une richesse culturelle extraordinaire, avec une humanité, avec un désir de partager ce que nous avons en nous. Sauf que ça ne se voit pas ; sauf que ce n'est pas palpable, sauf que ce n'est pas monnayable.

Voilà pourquoi des idées noires me traversent l'esprit chaque jour que Dieu fait - même si je ne crois pas en Lui - ; voilà pourquoi je suis en colère face à tout ça, et pour bien d'autres choses diverses et variées. La colère est un moteur, lorsqu'on s'ait l'utiliser à bon escient. La colère ne veut pas dire "agressivité" ou "violence", ou "haine", ou "ressentiment". Ca, c'est pour ceux et celles qui n'ont pas compris qu'il y a des valeurs bien plus méritoires et bien plus honorables que cette colère peut susciter. Encore faut-il dépasser les clichés, les certitudes, les a-prioris, les jugements et les condamnations à l'emporte-pièce dont ont on constate la proliféation ici ou là.

Voilà ce que je tenais à préciser. A bon entendeur !

Sincèrement et amicalement votre...

Dominique Capo
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