autobiographie, pages 308 à 310 / 312

Heureusement, dans mon malheur, ma démarche auprès de ce magazine et de ces numéros de téléphones coquins ont eu quelques succès. Le premier qui m'a le plus marqué s'est manifesté un soir, à la suite de l'un des rares coups de fils que j'ai passé sur un numéro de ce genre. J'avoue que, lorsque je m'y aventurais, je n'en n'attendais pas grand-chose. Le minitel, au début de mon indépendance, m'avait guéri de ce moyen de communication. En mème temps, quelque chose de plus fort que moi me poussait à espérer que la chance pourrait, un jour, peut-être, m’être favorable. Et justement, il n'y a eu qu'une occasion où cela s'est avéré exact. Un soir, après avoir laissé un message sur le répondeur de ce réseau téléphonique, je m’apprêtais à m'installer dans mon fauteuil pour regarder un film au magnétoscope, lorsque mon combiné a sonné. J'ai été surpris, parce que personne ne me contactait à cette époque là, si ce n'est mes parents. Or, il était près de vingt-et-une- heures, et il était trop tard pour que cela soit eux.

En fait, c'était une jeune femme qui avait entendu mon annonce, et qui était intéressée par elle. Interloquée, je lui ai dit que, si elle voulait qu'on se rencontre un jour, pourquoi pas, elle avait mon numéro et pouvait me contacter quand elle le souhaitait. Je lui ai dit bonsoir et j'ai raccroché. A peine deux minutes plus tard, le téléphone a sonné à nouveau. C'était encore elle, et elle m'a demandé si elle pouvait venir me voir chez moi à l'instant. Abasourdi, j'ai répondu oui, ne réalisant pas tout à fait qu'une femme allait bientôt arriver chez moi dans le but d'avoir des relations sexuelles avec moi. C'était tellement exceptionnel, inattendu, que je ne réussissais pas à ancrer cette idée au sein de ma réalité. On m'avait tant de fois repoussé, que cette idée me semblait absurde, ridicule.

Malgré tout, une demi-heure plus tard environ, celle-ci a sonné à la porte de mon appartement. Je lui avais donné mon adresse, présageant d'un canular ou d'un « lapin ». J'étais évidemment à la fois anxieux et impatient, heureux et incertain. J'étais sûr que lorsqu'elle découvrirait que j'avais une tache de vin, des cicatrices, et que j'avais un handicap, elle s'éclipserait rapidement. Mais non, elle est entré chez moi. Nous avons discuté un moment, moi tentant de reculer l'instant inéluctable auquel je ne croyais pas. Il a pratiquement fallu qu'elle me force à la croire, en insistant lourdement sur le fait qu'elle désirait vraiment, réellement, avoir une aventure sexuelle avec moi, pour que je finisse par baisser les bras ; pour que je réalise que ce n'était pas pour se moquer de moi.

Cette jeune femme, qui avait environ vingt-cinq ans, n'était pas forcément belle. Elle avait de l’embonpoint, des formes généreuses. Par contre, elle avait un visage doux et agréable. Elle a tout fait afin de me décontracter, afin de me mettre à l'aise. Et Dieu sait si j'étais tendu. Et finalement, la nuit s'est déroulée agréablement. Nous avons pris notre temps, j'ai été doux, sensuel, délicat. C'est un des plus moment du genre que j'ai passé. Il était inattendu, incroyable, improbable. Mais, comme une autre que j'ai croisé à peu près dans les mêmes circonstances à quelques semaines de là, la nuit que j'ai vécu a été magique. D'ailleurs, la seconde jeune femme m'a expliqué qu'il y avait longtemps que « cela » n'avait pas été aussi agréable. Peut-être a-t-elle dit cela pour me faire plaisir et qu'elle n'en n'a pas pensé un mot. En tout cas, ces propos m'ont touché. Sauf que, contrairement à la première, celle-ci, je ne l'avais pas rencontré dans un but uniquement sexuel. La petite annonce qui nous a mis en contact l'un avec l'autre était très explicite. C'était une rencontre sentimentale et amoureuse, cette fois, que j'avais insérée dans le journal le plus lu de la Sarthe. Nous avions pris rendez-vous le matin, et avions passé la journée ensemble dans le but d'apprendre à nous connaître et à nous apprécier. Comme elle n'était pas de Laval, j'en ai profité pour lui faire visiter la ville, pour l'emmener au restaurant. Ça a été une journée très sympathique. Le soir venu, comme il était tard et qu'il pleuvait, je craignais qu'elle ait un accident sur la route. Donc, je l'ai invité à partager mon lit, en lui disant que si elle ne voulait qu'il n'y air rien entre nous, je ne la toucherai pas. J'étais sincère. Mais, une fois couchés, sans que nous forcions les choses ni l'un ni l'autre, les événements se sont enchaînés naturellement.

Au matin, lorsque nous nous sommes réveillés, j'étais certain qu'enfin, après tant de péripéties, j'avais trouvé une compagne. Je ne dis pas que j'en étais amoureux, au bout de vingt-quatre heures, ce serait exagéré. Mais la journée précédente avait été tellement agréable, douce, pleine d'échange et de partage, que j'étais convaincu que notre attirance mutuelle était réciproque. Quand elle est repartie, je lui ai demandé si nous pouvions nous revoir très vite. Elle m'a répondu « oui ». Or, dès le soir même, puis au cours des journées qui ont suivies, j'ai tenté de la joindre à plusieurs reprises, et personne n'a répondu. J'étais désorienté, abattu. Je ne comprenais pas, puisque tout s'était si bien passé entre nous. Quelle faute, quelle bévue, avais-je pu commettre, pour qu'elle ne veuille plus me parler. C'est au bout d'une petite semaine, qu'à force d'insistance, sa mère m'a répondue. Elle m'a expliqué que sa fille n'était pas là. Je lui ai dit que j'étais son « petit ami », du moins était-ce ce que je croyais. Elle m'a expliqué que sa fille n'avait actuellement pas de petit ami, et qu'elle couchait avec qui elle voulait. J'ai raccroché, dépité, blessé, une fois de plus. Ce n'est que quelques mois plus tard qu'elle m'a brièvement recontacté par téléphone afin de s'excuser de son comportement. Elle m'a dit qu'elle avait eu peur. Qu'elle ne s'était pas vu sortir avec une personne handicapée comme moi, et qu'elle avait préféré fuir plutôt que d'affronter mon regard.