Aveugle, sourd et muet, quatrième partie :
Mais non, même pas. En tout cas ce n’est pas affirmé. Ou seulement ma mère, de temps en temps, en cachette, lorsqu’il n’y a personne d’autre qu’elle et moi. En public, tout le monde s’extasie sur la réussite du club équestre de ma sœur, des efforts qu’elle a dû déployer pour aboutir à ce résultat, la fierté parce qu’il s’agit de travaux manuels qui correspondent davantage à la façon dont la grande majorité des membres de notre famille perçoit le monde, l’argent que cela génère – et encore, c’est relatif. Alors que moi, je passe mes journées devant mon ordinateur. Ce que je fais ne se vois pas, n’est pas palpable, n’est pas financièrement teinté de noblesse. Ce n’est pas respectable ou honorable parce que ce n’est pas un métier, une activité professionnelle « dans les normes ».
Dès lors, en famille, je suis contraint, à chaque fois, de me renfermer en moi-même, de me replier dans mon imaginaire, de fuir ceux que j’aime et qui m’aiment, qui ne me voient pas tel que je suis réellement. Je suis obligé, au bout de quelques minutes de conversation qui m’épuisent physiquement, qui m’endorment parce que je ressens au fond de moi que je n’y ai pas ma place, de me réfugier dans une pièce, de retourner à mon ordinateur où, sur Facebook et ailleurs, les personnes que je côtoie me voient tel que je suis, et m’apprécient pour ce que je leur offre, pour ce que je partage avec eux et avec elles. Parce que ces personnes me touchent, m’émeuvent, m’acceptent, et comprennent l’ampleur de mon investissement dans le travail auquel je m’adonne quasi-quotidiennement. Sans relâche, sans répit, sans repos. Et pour lequel ceux et celles qui sont du même sang que moi sont aveugles, muets, et sourds…