Brèves Philosophiques, pages 154 à 156 ; La Grande Menace, dernière partie :

Comme pour n'importe quelle guerre, c'est en portant sur le terrain même où elles sont conduites, que les batailles se gagnent… ou se perdent. L'Europe, et les États-Unis se sont déjà alliés à plusieurs reprises par le passé, pour gagner des guerres. Les pertes humaines ont été lourdes, les coûts financiers et matériels ont été faramineux. Mais cela a toujours été le seul moyen de renverser des idéologies et des armées fanatiques prêtes à tout sacrifier à leur cause.

Cette guerre-ci n'est pas différente des autres. Faut-il cependant que chaque nation se sente véritablement concernée par ce qui se déroule au Proche et au Moyen-Orient. Pour le moment, ces assauts contre l'Occident n'ont que peu de répercussions objectives pour notre mode de vie et notre mode de civilisation. Jadis, dans les années trente, les démocraties n'ont pas pris la pleine mesure du danger que constituait le Nazisme. Elles ont laissé faire, jusqu’à ce qu'il soit trop tard. Jusqu’à ce que son vrai visage se révèle dans toute son horreur. Je le sais pour étudier de près cette période de l'Histoire récente depuis des mois.

Néanmoins, quels enseignements en avons nous tiré ? Les centaines de décès dus aux fanatiques se faisant exploser avec leurs bombes en France, en Angleterre, en Turquie, en Tunisie, en Espagne… en Belgique ne sont rien comparé à ce qui nous attends si nous demeurons sur nos positions actuelles. Daesh le sait, et en profite pour nous porter autant de coups qu'il le peut. Nous, nous nous indignons, nous nous agitons… et nous nous réveillerons lorsque, une fois encore, nous nous retrouverons définitivement au bord du précipice.

Ce jour-là, alors que d'autres attentats auront ensanglanté le monde, alors que d'autres contrées seront tombées sous la férule de Daesh ou de ses successeurs, nous nous diront : « Si on avait pu imaginer ce qui allait advenir ? Si on avait fait ceci, si on avait fait cela ? » ; « Si, si... ». Avec des « si », on pourrait reconstruire le monde en l'idéalisant un nombre incalculable de fois. Mais la réalité est toute autre. Les faits sont brutaux, sans états d'âme, sans pitié. Et ces faits sont enchaînés à un enracinement historique et religieux tels que je les ai décrit hier. C'est injuste, c'est malheureux, c'est triste. Je les condamne, je les réprouve, je les maudis ; comme chacun de vous. Je le souligne et le resouligne afin que vos oreilles résonnent de ces mots pour longtemps.

Pourtant, cela ne fera pas revenir nos morts, cela ne modifiera pas ce à quoi nous sommes confrontés. Nous payons le prix du colonialisme, de l'esclavage, de l'exploitation outrancière des ressources naturelles par des multinationales présentes ou passées, c'est exact. Nous n'avons pas souhaité redistribuer les richesses de ces pays que nous avons exploité – que nous exploitons – sans se préoccuper de leurs peuples. Oui. Nous les avons maintenu dans la misère, dans l'indignité, avons profité d'eux. Oui. En avons nous tiré des leçons ? Non ; mille fois non !!! Et, à moins que nous n'en prenions pleinement conscience, ce seront nos enfants ou nos petits-enfants qui devront mener cet affrontement à terme.

Car, fatalement, comme les fondamentalisme religieux ou idéologique de jadis, celui-ci sera aussi renversé. Mais à quel prix ? a l'issue de quels tourments, de quels traumatismes, de quels génocides ? Nul doute que si nous n'agissons pas au plus tôt, dans dix, vingt, trente ans – de la même façon que le conflit israélo-palestinien qui s'enlise depuis des décennies – ce seront nos enfants ou nos petits-enfants qui seront précipités au milieu d'une guerre de civilisations Nord-Sud dont ils auront hérité ; puisque les pièces de ce puzzle mortifère se mettent progressivement en place les unes après les autres…