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24 juillet 2022

Les Cathares, pages 5-8/60

X1

A la fin du XIXe siècle, Rudolf Steiner, fondateur du mouvement anthroposophique allemand, donne quelques indications sur ces bogomiles « bulgares » prédécesseurs des cathares. Pour lui, il s'agissait des dernières âmes ayant conservé dans la civilisation européenne « un reste de perception éthérique et astrale à l'état de veille et de sommeil », c'est-à-dire que ces initiés auraient gardé intactes des possibilités psychiques de médiumnité ou de voyance très rarement accordées aujourd'hui. C'est cette connaissance de « l'Arbre aux fruits admirables » qui aurait effrayé par-dessus tout l’Église, au point que celle-ci s'acharna sur ces malheureux dissidents.

Toujours à la fin du XIXe siècle, pour Hermann Gruber, les bogomiles seraient au Moyen-Age (avant les cathares, puis les templiers) les mandataires occidentaux de « la Grande Fraternité Blanche » qui guide spirituellement l'humanité : leur mission était de réaliser dans le monde un christianisme cosmique véritable : « Les peuples slaves et germains qui surgirent au moment des « grandes invasions » ne pouvaient guère recevoir le christianisme que par une impulsion profondément cosmique : leur mythologie était encore entièrement cosmique et, avec une sorte de clairvoyance à demi rêveuse, ils avaient la perception immédiate des forces et des entités agissant dans les éléments terrestres et dans le ciel des étoiles. Cette vie des essences spirituelles suprasensibles qu'ils ressentaient en eux-mêmes, ils essayaient de l'exprimer sous la forme de ces images originelles que l'on retrouve partout dans les époques les plus anciennes de l'histoire humaine. C'est ainsi que nous devons interpréter la croix, les rosettes, les svastikas, les spirales, les croissants lunaires, les cordelettes tressées, etc. Ces symboles apparaissent déjà dans les civilisations primitives de l'age de bronze et, plus tard, dans l'art roman et lombard, enfin, partout sur les pierres funéraires bosniaques. ».

La facilité avec laquelle l'église bogomile s'implanta en Bosnie et en Dalmatie s'explique pour des raisons à la fois historiques et religieuses. Pendant près de trois-cents ans, du Xe au XIIIe siècle, ces territoires firent âprement disputés entre des États différents (Hongrie, principauté de Serbie, royaume bulgare, empire byzantin, république de Venise même), dont aucun n’exerça durablement le pouvoir effectif sur ces marches. De même, le pays était tiraillé entre catholicisme romain et le patriarcat orthodoxe depuis le schisme de 1054, de sorte que les fidèles et le clergé ne savaient plus très bien s'ils devaient obéir à Rome ou à Constantinople. Une telle confusion fit le jeu des doctrines hérétiques chez un peuple épris avant-tout de liberté et d'indépendance. Au XIIe siècle, la situation s'était largement modifiée ; l'église orthodoxe avait jugulé le bogomilisme en Bulgarie, et la Dalmatie toute entière était de nouveau dans l'obédience de Rome. La répression allait pouvoir se déclencher avec une grande ampleur.

L'abjuration commença par le sommet. Le 8 avril 1202, le ban Kulin (un des principaux feudataires du royaume), qui avait adhéré à l'Erreur, renia l'hérésie en ces termes : « Nous renonçons d'abord au schisme qui a fait notre mauvaise renommée et nous reconnaissons notre mère l’Église romaine à la tète de notre unité religieuse... ».

Les princes mis au pas (pas tous, cependant), il restait à ramener la bourgeoisie et le peuple dans le « droit romain ». A cet effet, le pape Innocent III, persécuteur des cathares, envoya un légat accompagné d'une troupe d'inquisiteurs. Pendant ce temps, les bogomiles désignaient un chef spirituel suprême, sorte « d'antipape » au dire des catholiques, qui envoya son « vicaire » à Toulouse, alors aux mains des cathares. La Bosnie fait figure, au début du XIIIe siècle, de centre du mouvement hérétique européen.

Les résultats obtenus par l'Inquisition (en majorité composée de dominicains) furent dérisoires eu égard aux moyens déployés. Les taisons doivent être recherchées dans la résistance presque unanime des populations, la mollesse des nobles et des seigneurs féodaux à réprimer l'hérésie en fournissant des troupes et les difficultés d'ordre géographique. Il n'était pas facile de se frayer un chemin dans un pays coupé de gorges et de montagnes, presque dépourvu de routes. Rome ne se découragea pas pour autant et prêcha successivement quatre croisades contre les bogomiles, bougres et autres patarins. En 1319, nous voyons encore le pape Jean XII inviter le prince croate Mladen Subic à combattre l'hérésie : « La Bosnie, écrit l'Apostole, est tout entre les mains des hérétiques. Les églises sont en ruines, il n'y a plus de prêtres, il n'y a même plus ni communion ni baptême. ».

Plusieurs évêques et de nombreux prêtres embrassèrent l'hérésie. Au XIV siècle, il n'y avait plus en Bosnie d’Église catholique constituée, et le pays était redevenu une « terre de mission ».

« Pourtant, écrivait en son temps Enéas Sylvius Piccolomoni, témoin de l'époque, il est peu probable que l’Église ait jamais combattu aussi puissamment et avec des moyens plus durs un mouvement né dans ses rangs, mais toute l'influence et tous les moyens de la Curie romaine employés contre ces mauvais gens, qui se disent bons chrétiens, n'ont servi à rien... ».

La menace turque se faisant plus pressante, le souverain pontife tenait absolument à regagner la foi de ces territoires limitrophes des conquêtes ottomanes. En revanche, les bogomiles n'avaient aucune envie de prendre part à la croisade anti-turque.

En 1459, le roi Stephan Thomas se plaint encore à l'inquisiteur dominicain Barbuci de ce que ses sujets manichéens ont plus de sympathie pour les Turcs que pour les catholiques. Ce monarque essaya d'introduire le catholicisme par la force en 1462, envoya trois de ses seigneurs à Rome enchaînés pour qu'ils renoncent à leurs erreurs. A cette occasion, le cardinal Torquemada (oncle de l'inquisiteur espagnol) composa la liste des « cinquante erreurs des manichéens de Bosnie ».

Finalement, l'Islam s'accommodant difficilement des croyances rivales, le mouvement bogomile disparut presque complètement au 15e siècle, avec la conquête de l'Europe orientale par les Turcs. Il est intéressant de noter à ce sujet que les seuls contrées d'Europe où la foi musulmane recueillit l'adhésion des populations correspondent justement à l'aire d'expansion de l'hérésie.

Avant de disparaître, le dualisme bogomile avait eu le temps de se propager à travers l'Europe et, dès le XIe siècle, de prendre pied en Italie sous la forme du catharisme, ce par l'intermédiaire des échanges intellectuels et des marins vénitiens faisant commerce avec la Dalmatie et Byzance. D'Italie, il se répandit en Occitanie et jusque sur le Rhin. Les liens entre les diverses « églises » cathares ne furent jamais rompus tant qu'elles existèrent ; ainsi, lors du siège de 1243-1244, les défenseurs de Montségur communiquaient-ils encore par courrier avec les « évêques » patarins de Bosnie, dont ils reçurent des messages d'encouragement (et aussi de Byzance). C'est dire l'importance historique de ce foyer primordial de l'hérésie.

Le catharisme sut cristalliser autour de lui les diverses poussées spirituelles, puisqu'il émerge aujourd'hui, fascinant les chercheurs, d'un oubli multiséculaire, Cependant, penchons-nous sur son destin, puisqu'il recèle la clé de son message ésotérique.

 

A suivre, dimanche 31 juillet... Dominique Capo

 

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