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Mes Univers
14 novembre 2022

Lettre à qui de droit :

X1

Je me nomme Dominique Capo. Je suis en couple avec Vanessa Ruiz depuis 19 ans. Et si je suis atteint d'une maladie orpheline nommée « maladie de Sturge-Weber », Vanessa, elle, est née avec une légère atrophie du cervelet et est atteinte d'une sclérose en plaques depuis 2012.

Si je vous écrit cette lettre en mon nom et en son nom, c'est parce que je ne sais plus vers qui me tourner. Ma famille nous délaisse. Elle estime que nous sommes capables de nous débrouiller, alors que nous n'avons ni véhicule pour nous déplacer, ni accompagnants pour nous épauler. Certes, des assistantes sociales s'occupent de nos dossiers. Néanmoins, les lenteurs administratives et les imbroglios bureaucratiques sont des freins quasi-insurmontables à leur action. Nous avons déposé un dossier de relogement social auprès de l'organisme HLM Sarthe Habitat. Mais, là encore, les délais d'attentes sont monstrueux. Il faut parfaitement entrer dans les bonnes cases, se résoudre à des logements qui, s'ils sont adaptés aux personnes handicapées, ne prennent pas en compte le fruit d'une vie toute entière avant d'avoir fait appel à eux. A leurs yeux, notre existence doit se résumer au strict minimum ; et surtout, un minimum entièrement dédié à notre état d'invalide.

Peu importe que vous déteniez des objets précieux. Peu importe vos meubles, vos milliers de livres, vos milliers de bandes dessinées, vos centaines de DVD. Peu importe si vous êtes les détenteurs de figurines de collection. Nous en avons plus de 5000 à ce jour et d'une valeur pour certaines de plusieurs centaines d'euros. Tout cela, et bien davantage, est à jeter à la poubelle parce que vous devez vous contenter des reliquats que l'on vous propose, et sans discussion.

Après-tout, nous ne sommes que des infirmes ! Pourquoi devrions-nous avoir le droit d'être heureux et épanouis, sereins et tranquilles, au sein d'une habitation où nous nous sentirions bien ? Pourquoi devrions-nous nous sentir chez nous au milieu d'un univers qui nous ressemble ? Tout cela, ce n'est qu'un privilège dont seuls les « gens normaux » ont la possibilité de bénéficier !

 

La maladie de Sturge-Weber dont je suis atteint se caractérise essentiellement par un angiome facial interne et externe : à l'extérieur, cet angiome se présente sous la forme d'une tâche de vin ; la mienne s'étend de l’arête de mon nez à la paupière de mon œil gauche et à une partie de mon front. A l'intérieur de mon crâne, il s'agit d'une myriade de veinules formant une sorte d'éponge et agglomérée à une partie de mon cerveau.

Cette maladie provoque chez moi des crises de convulsions épisodiques. Lorsque je suis soumis à de fortes pressions, à un stress, à une fatigue, ou à une peur intenses, elles durent quelques minutes, tout au plus. Je les « sens » venir. De fait, il suffit que je m'assois un instant, que je les laisse se manifester puis régresser, avant de recouvrer l'ensemble de mes capacités physiques.

A l'age de six mois, la première de ces crises de convulsions a également entraîné chez moi une hémiplégie partielle du coté droit de mon corps : ma jambe droite et mon bras droit son légèrement plus petits que les gauches. Leur force musculaire est réduite ; leur dextérité est restreinte. Quant à ma main droite, elle est malhabile ; ses doigts sont chétifs. Mon pied droit est plus court d'un à deux centimètres ; et lorsque je marche des heures, je finis par boiter, voire par chuter.

Ma compagne, Vanessa Ruiz, elle, est dotée d'une atrophie du cervelet. Laquelle la rend plus lente dans ses mouvements depuis sa naissance. Quand elle est nerveuse ou intimidée, elle bégaie ou mange ses mots. En 2012, nous a été signalé qu'elle avait une sclérose en plaques. Aussi, désormais, elle est encore plus fragile et plus vulnérable qu'avant. Elle ne se meut que grâce à un déambulateur, et avec quelqu'un derrière elle pour éviter qu'elle ne tombe. Malgré tout, son état de santé est stable. Et il n'y a que lorsqu'il fait très chaud que les symptômes de sa maladie sont décuplés, et qu'elle ne peut plus se déplacer qu'en fauteuil roulant. Elle est davantage fatiguée, son niveau de concentration et son niveau d'attention sont atténués. Il arrive parfois qu'elle chute.

Malgré mes propres déficiences, je tente vaille que vaille de la soulager. Lorsque c'est inenvisageable, je suis contrains de demander un renfort extérieur – des voisins, des pompiers, au cas échéant. En résulte chez moi des crises d'angoisse immodérées. Parce que nous prenons tous deux quotidiennement des médicaments entraînant un léger déficit de l'attention immédiate, nous n'avons pas de moyen de locomotion autonome. Ca serait trop dangereux. En fait, nous sommes tributaires du bon vouloir de notre entourage. Le reste du temps, nous sommes totalement isolés.

Si ce n'est les auxiliaires de vie dont Vanessa bénéficie, si ce n'est les gens qui nous livrent un repas par jour à domicile, nul ne se soucie de notre sort. Pour la plupart des gens, nous sommes plus des « emmerdeurs », des sources de soucis, qu'autre chose. En vérité, ils préféreraient nous voir déguerpir. Ils souhaiteraient que nous disparaissions de leur environnement et retrouver la joie et le bonheur dont ils disposaient avant notre que nous débarquions.

 

C'est fin mai dernier que nous nous sommes installés à Auvers le Hamon, en grande banlieue de Sablé sur Sarthe. Auparavant, nous demeurions à Valognes, à proximité de Cherbourg. Nous habitions un bel appartement de 70 m² niché dans une rue calme et paisible. Bien-entendu, comme n'importe quel lieu de vie, il avait également avait des défauts. Par exemple, il n'était pas exactement aménagé pour nos besoins. Sa douche était surélevée, alors que la sclérose en plaques de Vanessa nécessite l'emploi d'une douche à l'italienne. Ses toilettes étaient difficiles d'accès... Cependant, nous nous y étions vraiment chez nous. Il était spacieux et lumineux. Il était confortable et la disposition de ses pièces nous convenait. Bref, nous nous y plaisions.

Pourquoi avoir déménagé, dans ces conditions ?, me questionnerez-vous. Tout simplement pour me rapprocher de ma famille. En réalité, depuis des années, ni Vanessa ni moi n'avions plus d'attaches dans le nord-Cotentin. Nous y étions reclus chez nous, dans l'impossibilité de nous en extraire. Il n'y a que notre aide-ménagère, que le kinésithérapeute de Vanessa, que le pharmacien ou que les infirmiers nous y rendaient régulièrement visite.

Pour nous se transporter hors de chez nous, c'était toujours en taxi-ambulance ; et exceptionnellement. Nos courses alimentaires, c'est par le biais d'Internet – et du drive de l'Intermarché le plus proche de de notre logis – que nous les effectuions. Notre aide-ménagère les récupérait. Puis, elle nous les ramenait, et m'assistait pour les ranger dans le frigo, le congélateur, et les placards. Vanessa, elle, était incapable de participer à cette effervescence passagère.

Nous ne buvons pas d'alcool, nous ne fumons pas, nous ne sortons pas : nos distractions se cantonnent à la lecture – ancien collaborateur travaillant à la Bibliothèque de l'Arsenal - une des annexes de la Bibliothèque Nationale à l'époque où celle-ci était fixée rue de Richelieu (IIe arrondissement de Paris) -, je suis un lecteur vorace. Je suis également écrivain et historien amateur. Rédigeant actuellement mes Mémoires, de surcroît, j'écris des articles de fond évoquant les causes et les conséquences de tel ou tel événement de l'actualité la plus brûlante du moment, le dernier en date remontant aux prémisses de la guerre en Ukraine. Vanessa et moi sommes de férus de cinéma. Je suis amateur de figurines de collections. Ce ne sont pas des jouets, puisqu'un piéton coûte une cinquantaine d'euros, qu'un cavalier environ cent-vingt euros. J'en ai plus de 5000, dont des pièces rares, voire introuvables sur le marché.

A Valognes, nous étions très organisés et extrêmement scrupuleux avec nos finances. En dix-neuf passés dans l'appartement que nous y avons loué, jamais nous n'avons été à découvert. Jamais notre propriétaire n'a eu à se plaindre de nous. A la moindre augmentation de loyer, à la moindre charge supplémentaire à payer, nous nous en sommes immédiatement acquittés.

Nous avons dégotté cet appartement en nous renseignant auprès d'un notaire implanté à Valognes. Dans une premier temps, nous nous sommes adressés à des agences immobilières ayant pignon sur rue, Elles n'ont pas voulu de nous comme clients non pas parce que nos revenus étaient insuffisants. Nos Allocations Adultes Handicapés, ainsi que nos prestations complémentaires nous en offraient la faculté. De plus, nous recevions une APL (Allocation Pour le Logement) à taux plein qui couvrait la moitié de notre loyer. Non, le véritable couac à leurs yeux, c'est que ce n'étaient pas des salaires en bonne et due forme. Pas de fiche paye, pas d'employeur, non-imposables, ils s'avéraient invisibles sur notre feuille d'imposition. Voilà ce qui faisait tiquer ces agences immobilières. Et rebelote, lorsque ma famille a commencé ses démarches auprès des agences immobilières de Sablé sur Sarthe.

Au printemps 2022, découragée, ma famille s'est donc rabattue sur les petites annonces du Net. Et elle fini par nous a débusqué une maison inadaptée à nos impératifs et à nos volontés. « C'est ça ou rien », nous a-t-elle imposée ! Cette sommation qui nous a été assignée, nous l'avons expié – nous l'expions –, et nous l'expierons longtemps encore. Son prix est exorbitant. Ce châtiment, ne soyons pas naïfs, c'est celui d'être nés différents, c'est évident !

 

Que notre emménagement à Auvers le Hamon se transforme en tragédie était alors inéluctable. Je ne m'étendrais pas sur l'Enfer que nous avons vécu cet Été, les péripéties qui en ont procédé, je m'y attarderai tout le long du récit-témoignage que j'élabore depuis un mois. Et Dieu sait si beaucoup de faits sont à y relater. Et l'hospitalisation d'urgence de Vanessa mi-septembre, a été leur inévitable conclusion.

Au Bailleul – le nom de l’hôpital de Sablé -, j'ai appris que Vanessa était nantie d'une mycose vaginale doublée d'une infection urinaire. La raison ? Parce que Vanessa a été dans l'incapacité de se laver correctement et d'aller aux toilettes normalement durant la saison estivale. En apprenant cela, un membre de ma famille m'a invité à me réfugier chez lui. Comme je ne me sentais pas la force de moisir au milieu de cet environnement inadéquat et que ce membre de ma famille ne vivait pas loin de notre domicile, c'était l'idéal.

C'est à partir de cette date que mes crises d'angoisse se sont réveillées. Et elles ont été d'une ampleur exceptionnelle. Par le passé, quand elles s'exprimaient, elles ne duraient que quelques minutes. Là, c'est toute la matinée qu'elles m'ont propulsé aux cabinets. Pour arranger le tout, ce membre de ma famille a exigé que je fasse des efforts. Ca les a empiré, et rien n'a pu freiner ou calmer les nausées et les sueurs froides dont j'ai dès lors été victime.

Une semaine plus tard, j'ai croisé une psychologue avec laquelle Vanessa et moi avions pris rendez-vous en juillet. La conversation que j'ai eue avec elle lors de sa consultation ambulatoire a bientôt dérivé vers mes crises d'anxiété de plus en plus virulentes. Elle les a mentionné sur le calepin où elle sténographiait ce que je lui communiquais. Puis, me tendant sa carte de visite, nous avons convenu de nous revoir très prochainement.

Sauf que le sort en a décidé autrement : le matin d'après, mon énième poussée de stress a été fulgurante. Anéanti et harassé, je n'ai pas hésité une seconde : j'ai téléphoné à cette psychologue pour l'appeler au secours. Réalisant d'emblée que j'étais au bout du rouleau, comme Vanessa, elle m'a fait hospitaliser au Bailleul. Et s'en sont suivies quinze jours de convalescence qui m'ont fait énormément de bien.

Tout d'abord, cette psychologue s'est arrangée pour que ma chambre soit localisée au même étage et dans le même couloir que celle de Vanessa ; ce qui nous a autorisé à nous rejoindre fréquemment. Les médecins ont diagnostiqué un syndrome dépressif consécutif à un épuisement physique et nerveux excessifs. D'ailleurs, mes thérapeutes ont eu du mal à me croire lorsque je leur ai signifié que je me démenais seul face aux vicissitudes liées à la maladie de ma compagne depuis une dizaine d'années. Ils ont haussé les sourcils d'étonnement lorsque je leur ai déclaré que les épreuves, que les embûches, que les ennuis, n'avaient pas cessé de s'accumuler sur notre route depuis notre migration en Sarthe ; et ce, dans l'indifférence générale.

Mes médecins m'ont administré des soins appropriés. Mais, surtout, ils m'ont requis un maximum de repos. Dès le lendemain, mes nausées se sont évanouies par enchantement. Une psychiatre a modifié les prescriptions médicamenteuses qui m'étaient préconisées depuis 2012. En effet, c'est en mai de cette année-là que, malgré les éclaircissements du neurologue de Vanessa, ses parents s'étaient persuadés que j'étais responsable de la sclérose en plaques de leur fille. Aussi, ils m'avaient malmené physiquement et psychologiquement, et j'étais ressorti de cette confrontation traumatisé ; je ne m'en suis jamais vraiment remis. Via des séances de psychothérapie quotidiennes, j'ai mis au jour les tenants et les aboutissants, les motifs et les répercussions de mon délabrement corporel et mental. L'attention et la bienveillance, le respect et la compréhension, qui m'ont été octroyés par mes soignants, m'ont procuré un grand réconfort. Grace à eux, l'introverti que je suis habituellement a peu à peu consenti à s'extraire de sa coquille. Dans la foulée, j'ai recommencé à écrire des textes à la main, un exercice auquel je ne m'étais plus voué depuis les années quatre-vingt-dix. Idem, je me suis préparé à élaborer de nouveaux projets littéraires. Alors que c'était un sujet de discussion d'ordinaire tabou dans ma famille, j''ai pris plaisir à discuter de cette vocation avec les personnes qui s'occupaient de moi. J'ai eu la surprise d'observer que ces dernières n'y étaient pas rétives ; qu'au contraire, elles y étaient réceptives. Elles m'ont également démontré que le problème ne venait pas de moi, comme je l'avais toujours supposé, mais qu'il venait principalement de mes interlocuteurs coutumiers. Qui-plus-est, mes séances de psychothérapie ont corroboré cette hypothèse. Attestant que je m'intégrais aisément à des échanges verbaux si ceux et celles qui y participaient me laissaient m'extérioriser librement, elles en ont donc déduit que je n'avais pas à culpabiliser ou à être réprimandé du fait de mes thèmes de prédilection.

J'allais mieux lorsque j'ai quitté l’hôpital du Bailleul. Le bémol, c'est que le mème jour, Vanessa a été transféré aux Capucins, à Angers. Ca m'a brisé le cœur. Pour qu'elle n'ai pas le sentiment d'être abandonnée – ma hantise -, je lui ai désormais téléphoné régulièrement.

Malheureusement, mon répit n'a été que de courte durée. Dès ma départ de l’hôpital, mes relations avec le membre de ma famille qui m'avait offert l'hospitalité se sont détériorées. J'ai tenté de faire des efforts en le dédommageant financièrement : nourriture que je consommais, usage de sa ligne téléphone. Afin de ne pas gêner et d'être le plus discret possible, exil dans ma chambre après avoir dîné.

Je n'y ai consenti que du bout des lèvres parce que je détestais m'y sentir isolé, j'allais chez moi aux environs de dix heures du matin. Là, j'ai débuté la narration du témoignage de cet enfer qui a été le notre depuis que Vanessa et moi sommes arrivés en Sarthe. J'ai entrepris de retranscrire, puis de publier une série d'articles relatant les circonstances nous ayant conduit à ce fiasco monumental sur les réseaux sociaux. Le dernier espace d'expression à ma portée vu que, pour ma famille, comme de coutume, j'étais ce perturbateur qu'il fallait constamment ostraciser.

La pression du membre de ma famille exercée sur moi s'est peu à peu intensifiée. Et, tout à coup, elle s'est mué en implacabilité et en rigidité des émotions révoltantes. Le 31 octobre, celui-ci m'a éjecté hors de chez lui avec perte et fracas. La nuit était tombée, et je venais de rentrer. Au préalable, j'avais posé mon havresac dans ma chambre. J'étais redescendu dans la cuisine, avais allumé le poste de télévision, et m'étais assis sur une chaise. Avant de regagner mes pénates, j'attendais juste qu'il soit l'heure de prendre mes médicaments et d'avaler mon repas.

Seulement, c'est à cet instant précis qu'il m'a rudoyé. Surgissant dans la cuisine, telle une furie, il s'est mis à m'invectiver. Il m'a hurlé qu'il ne s'estimait plus chez lui, que j'avais un chez moi. Pourquoi je n'y allais pas ? Décontenancé, j'ai essayé de lui expliquer que, justement, ce n'était pas chez moi ; surtout sans Vanessa. Je lui ai indiqué que le foutoir dont il était encombré depuis des mois m'étais insupportable. Très peu de gens de notre entourage, et uniquement exceptionnellement, s'étaient manifestés pour m'aider à le ranger. Or, comment faire quand on ne connaît quiconque dans le village où l'on débarque ? Vers qui se tourner quand y a ni amis ni alliés ? Comment faire quand on n'a pas d'automobile, qu'on est invalide, et qu'on n'est même pas capable de planter un clou ou de remplacer une ampoule au plafond ?

Mes arguments, évidemment, ce membre de ma famille n'y a pas été sensible. Cassant, froid, intransigeant et inflexible, il ne m'a même pas écouté. Imperméable au fait que je n'ai pas mangé de la journée, il m'a enjoint de quitter son foyer dans les plus brefs délais. Le lit médicalisé que le pharmacien de Valognes nous avait loué jusqu'alors nous avait été repris. A notre adresse, ne subsistait plus qu'un matelas et qu'une couette, ça l'a laissé de marbre. Qu'il n'y ait pas de chauffage ne l'a pas préoccupé. Son unique désir a été de me voir disparaître de chez lui. Aussi, m'en a-t-il expulsé comme un malpropre. Le vocable n'est pas trop fort.

Soudain, les blessures que m'avaient infligées les parents de Vanessa dix ans plus tôt se sont ranimées. Parce que ravivées par un membre de ma propre famille, les humiliations qui en ont découlé se sont même trouvées amplifiées. Traditionnellement, je ne suis pas quelqu'un de rancunier. Cette fois-ci, toutefois, ces blessures laisseront des traces jusqu'à mon ultime souffle de vie. Et même si, à l'avenir, mes rapports avec ce membre de ma famille s'apaisent, rien ne sera plus jamais comme avant.

Des pensées suicidaires m'ont effleurées l'esprit, cette nuit-là. Mais, que les choses soient claires Je ne souhaite pas mourir ; je ne l'ai jamais souhaité. Non ! C'est endurer cette existence-là, que je ne souhaite plus ; et Vanessa avec moi. Par-dessus le marché, je tiens trop à Vanessa pour renoncer à elle. Ses parents l'ont fait, ma famille l'a fait. Moi, je ne le ferai pas. Je préfère encore m'user à la tâche pour lui assurer le bonheur et la sérénité qu'elle mérite, plutôt que de la délaisser.

Par ailleurs, j'ai quantité d'articles sur l'actualité ou sur le devenir de notre Civilisation ou de l'Humanité à rédiger. J'ai mes Mémoires à terminer. J'ai un roman en gestation à composer. J'ai énormément de perspectives philosophiques à approfondir et à partager. Or, jusqu'alors, ces objectif littéraires ambitieux ont continuellement été étouffés par des considérations sur lesquelles je n'avais pas de prise. Je veux malgré tout les mener à terme.

Les jours suivants, j'ai en permanence eu des nœuds au ventre et dans la gorge. J'ai été la proie de deux ou trois crises d’anxiété intenses. Trois jours durant, je me suis sous-alimenté, je n'ai pas changé de vêtements, je ne me suis ni rasé ni lavé. Le 1er novembre étant un jour férié, je n'ai pu commander des provisions via le drive du Leclerc de Sablé que le surlendemain. Bien-entendu, j'ai téléphoné à Vanessa tous les jours, je l'ai informée du déroulé des événements, et elle en a été profondément mortifiée. J'ai contacté l'une des adjointe au maire d'Auvers le Hamon avec laquelle j'ai d'excellentes relations. Celle-ci a immédiatement joint le maire, lequel s'est précipité à ma rencontre pour savoir si j'avais besoin de quoi que ce soit. A Auvers le Hamon, il n'y a que ces deux personnes qui se sont enquit de mon état de santé. Leur empathie et leur dévouement m'ont grandement réconforté.

Cette adjointe au maire a sonné à ma porte quelques jours plus tard. C'est elle qui a pris le relais du maire dans le soutien de la municipalité vis-à vis des difficultés que je traversais. Parallèlement, j'ai approché les cheffes de secteur dont dépendaient les auxiliaires de vie qui ont assisté Vanessa tout l’Été. Elles ont perçu ma détresse, ont ponctuellement pris de mes nouvelles. Surtout, elles m'ont fait bénéficier d'un contrat équivalent à celui de Vanessa. Mais, à la différence de celui de Vanessa, puisque la MDPH ne m'octroie pas de prise en charge PCH, je dois m'en acquitter en totalité financièrement.

Car, Jusqu'à maintenant – et avec juste raison -, la MDPH et les autres organismes qui interviennent dans le cadre de nos handicaps respectifs ont concentré leurs efforts sur Vanessa... Ils se sont désintéressés de moi et de mon invalidité. Ils ont omis de distinguer que, chez moi, si cette dernière se traduit différemment, mon taux d'incapacité est de 90 %, et qu'une aide humaine m'est aussi indispensable qu'à Vanessa.

Dès lors, je ne remercierai jamais assez ces cheffes de secteur de l'agence O2 qui m'ont fait profiter de leurs prestations. Je n'aurai jamais de mots assez véhéments pour exprimer ma colère à l'égard des gens qui ont minimisé ou sous-estimé les désagréments liés à mon handicap.

Celui qui m'a le plus soutenu, cependant, c'est mon meilleur ami. Je fréquente depuis plus de trente ans. Il vit à Paris ; néanmoins, il n'a pas chipoté une seconde : tous les jours pendant une semaine, parce qu'il était déterminé à m'apporter son concours, il m'a téléphoné au minimum une heure. De ma famille, par contre, pas de signe de vie. De la part de mon médecin traitant, pas d'impartialité. Son jugement à mon encontre était sans appel. Les précisions que lui avaient fournies le membre de ma famille qui m'a chassé de chez lui avaient valeur de preuve. Il me l'a confirmé quand je l'ai croisé pour me renouveler mes ordonnances de médicaments et me délivrer une ordonnance pour l'obtention d'un nouveau lit médicalisé. Au surplus, il n'avait pas de temps à consacrer à mes « jérémiades » ; ça ne le concernait pas !

Doté de sa délicatesse et de sa gentillesse coutumières, mon ami m'a rappelé que je n'étais qu'une victime, dans cette histoire. Il m'a garanti qu'il était anormal, inhumain même, de m'en tenir pour responsable. Vanessa et moi subissions les conséquences d'une cascade de négligences et de carences. On pourrait même parler de maltraitances qui ont démarrées dès notre arrivée à Auvers le Hamon. Pour y pallier, il était donc inadmissible d'exiger de moi de me débrouiller par mes propres moyens. Il était inexcusable que ni ma famille ni nos organismes de tutelle n'aient pris la mesure de notre impossibilité à nous en sortir seuls. Il était impardonnable que lors de la canicule de cet été, et tandis que notre état de santé se dégradait à vue d’œil, on n'ait cessé de nous répéter qu'il nous fallait patienter. Enfin, il était indéfendable que les circonstances nous aient acculé à l'hospitalisation forcée. Vanessa comme moi, et autant l'un que l'autre, sommes des sujets particulièrement fragiles et vulnérables, il ne faut pas l'oublier.

Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir remué ciel et terre pour alerter, et ma famille, et nos organismes de tutelle. Lettres désespérées, à leur intention, coups de téléphone réitérés, crises d'angoisse pour moi, chutes récurrentes pour Vanessa. Et pour quel résultat ? Des invectives et des menaces, des admonestations et des injonctions au silence afin de ne pas endommager la réputation de certains et de certaines. A quelques exceptions près, nulle action n'a été entreprise pour éviter que la catastrophe ne se produise, a argué mon ami.

Désormais, je bivouaque : le matin, je me rase, je me lave, je m'habille parce que je n'ai pas le choix. Pour quoi faire, puisque je ne reçois pratiquement aucun visiteur, puisque je ne m'absente pas de mon domicile, puisque je ne côtoie personne à l'extérieur, puisque je n'ai pas de véhicule me permettant de me mouvoir au-delà des quatre rues encadrant la plus imposante place d'Auvers le Hamon ? Les heures de ma journées, je les destine à la rédaction de cette missive. Je les voue également à l'écriture d'un long texte évoquant le chaos que Vanessa et moi sommes contraints d'affronter depuis que nous avons atterri en Sarthe. J'accouche d'articles détaillant les émotions que celui-ci suscite chez moi. Et comme c'est le dernier espace où ma liberté d'expression n'a pas été réprimée, je les publie sur Facebook. En outre, je remanie et corrige d'anciens contenus analysant les multiples facettes de l'actualité des années 2015-2022 ; et j'ai débuté par ceux qui décryptaient les origines et les répercussions des attentats contre les locaux de Charlie Hebdo en janvier 2015. Je vais bientôt me ré-attaquer à la composition de mes Mémoires. Je vais ensuite me lancer dans l'élaboration d'un roman dont le canevas n'est jamais très éloigné de mon bureau. Le soir, somme toute, je visionne un film après avoir englouti le principal repas que je m'autorise pour la journée. Je lis un peu avant d'éteindre. Et la nuit, je dors sur un matelas posé à même le sol.

En résumé, ce ne sont pas les activités littéraires qui me font défaut. Car, pour que cette flamme qui m'anime encore ne vacille pas, je m'accroche à elles tel un naufragé se cramponnant désespérément à sa bouée de sauvetage.

 

Parce que Vanessa convergeait en taxi-ambulance vers le centre de rééducation fonctionnelle d'Angers, je suis parti de l’hôpital du Bailleul le cœur lourd. Aux Capucins, il est prévu qu'elle y séjourne un mois. Tout de suite, ces médecins se sont aperçus qu'elle avait attrapé le Covid ; ils l'ont mis à l'isolement une grosse semaine. De fait, sa quarantaine a repoussée nos retrouvailles aux calendes grecques.

Vanessa est perdue si je ne suis pas à ses cotés. Ses kinési lui prodiguent des soins une heure le matin une heure l'après-midi. D'après le peu d'informations que j'ai pu récolter, elle aurait recouvré un peu d'autonomie avec son déambulateur. En zappant au passage que Vanessa est pourvue d'une atrophie depuis sa naissance, ils l'encouragent à manœuvrer son fauteuil roulant seule. Ils ignorent qu'elle a des problèmes de coordination et qu'elle est plus lente. En conclusion, ils estiment que son retour chez nous va être compliqué.

Evidemment que son retour chez nous va être compliqué ! Ses médecins me prennent pour un imbécile ou un inconscient ! Pourquoi je m'emploie à chercher un logement plus adapté aux exigences de sa sclérose en plaques, d'après eux ? Pourquoi ai-je déjà prévenu l'agence O2 et ses auxiliaires de vie que le nombre de leurs interventions devra être augmenté ? Pourquoi une kiné va régulièrement opérer auprès d'elle, mais chez nous, pour poursuivre ses exercices ? Pourquoi, en attendant que nous puissions déménager, l'intérieur de notre habitation actuelle va-t-il être réaménagé en fonction de l'évolution des symptômes de sa maladie ? Pourquoi vais-je l'aider pour chaque geste de son quotidien 24h/24h, 7j/7j, 365 jours par an, sans jour férié ni week-end, ainsi que je m'y suis toujours engagé ?

Parfois, j'ai vraiment l'impression que ceux et celles qui ne sont pas instruits de la façon dont notre couple marche voient en moi un imbécile et un naïf !

Vanessa est malheureuse aux Capucins. Elle guette chacun de mes coups de fil avec impatience. Moi, j'ai hâte d'échanger avec elle au cours des quelques précieuses minutes que nous pouvons passer ensemble. Mieux ! Si je n'étais pas si vigilant, elle aurait dégringolé de son fauteuil roulant sans que quiconque ne s'en rende compte il n'y a pas si longtemps que cela ! Si je n'avais avisé le bureau des infirmiers dans la minute, ils n'auraient remarqué que dalle avant des heures ! C'est consternant ! Aussi, pour éviter que ce genre d'incident ne se reproduise, voilà-t-il pas que ses soignants ont retiré son fauteuil roulant de sa chambre et l'ont claquemuré dans son lit barrières levées tout le week-end suivant ! Et donc, pas besoin de la surveiller ou d'accourir à sa rescousse au cas échéant ! Édifiant !

Vanessa a pareillement eu droit au vrombissement des engins de maintenance au-dessus de sa tète. Je le sais, parce qu'ils nous ont empêché de communiquer normalement par téléphone plusieurs après-midi d'affilée. Vanessa m'a même avoué que certains soignants s'en plaignaient parce que ça interdisait à leurs patients de se reposer. Un soir où je l'ai appelée, elle était dans le noir. Il n'y avait que l'écran de son téléviseur qui lui apportait un peu de lumière. Ses soignants l'avaient tout simplement dédaignés, occupés ailleurs qu'ils étaient. Et comme elle ne réclamera jamais de l'aide de sa propre initiative « de peur de se faire engueuler et parce qu'elle ne veut pas déranger », pour reprendre sa formule, elle préfère se taire. C'est moi qui interpelle ses soignants et qui me fait taper sur les doigts.

Et encore, je suis loin. Je n'intercède que par téléphone – quand ils n'omettent pas de le lui laisser à portée de main -, ce qu'on me reproche volontiers, au demeurant. Si j'avais la possibilité de venir la saluer fréquemment, j'irai en toucher deux mots aux médecins qui sont censés lui porter assistance. Malgré mon invalidité, j'en accomplirai dix, cent fois plus qu'eux, afin de l'épauler ! Le comble !

Et pour couronner le tout, dorénavant, c'est service minimum vu que le personnel des Capucins est en grève depuis une semaine. Que leur faut-il de plus avant que ses médecins ne se réveillent et ne comprennent qu'elle serait plus heureuse chez elle malgré les impératifs qui en découlent ? Que leur faut-il de plus avant de saisir qu'elle serait plus entourée, ses empêchements davantage considérés ? Plutôt qu'elle soit livrée à elle-même, ou presque, en dehors des heures où ses kinésithérapeutes président à sa rééducation fonctionnelle ?

Entendons-nous bien ! Je ne doute pas une seconde que ses thérapeutes fassent tout leur possible pour qu'elle fasse des progrès. Je suis au courant que leurs conditions de travail sont épouvantables, que les moyens dont ils disposent se réduisent à peau de chagrin. Année après année, les dotations allouées au secteur hospitalier diminuent, tandis qu'on lui en demande toujours plus.

Je l'ai moi-même constaté après mon retour à Auvers le Hamon, et avant que les événements qui m'affectent ne dégénèrent. Le membre de ma famille chez qui je dormais alors m'a emmené la voir. Au rez-de-chaussée des Capucins, j'ai noté que l'un des ascenseurs conduisant à son étage était en panne. Et j'ai songé que ça en disait long sur les restrictions budgétaires dont le corps médical est l'objet.

Ceci dit, à cette occasion, et parce que nous étions réunis, nous avons vécu une heure et demie de bonheur. Autour de nous, plus rien n'existait. J'en ai eu les larmes aux yeux, et j'ai dû longuement la serrer dans mes bras afin de réaliser qu'elle se tenait devant moi.

Elle avait maigri, ce qui m'a légèrement alarmé, même si je ne lui ai pas montré. D'ordinaire, elle n'est pas très grosse. Et puis, elle se nourrit comme un moineau. Si, de surcroît, elle perd du poids, comment voulez-vous qu'elle ait assez de tonus musculaire pour retrouver un tant soit peu de liberté de mouvement ? Que ce soit avec son déambulateur ou avec son fauteuil roulant ? Une contradiction de plus dans ce qu'on requiert d'elle depuis que je ne suis plus là pour chaperonner ses déficiences !

Lors de la conversation qui s'en est suivie, nous avons abordé maints thèmes qui nous paraissaient essentiels : le comportement brutal et injuste dont nous souffrions de la part de notre entourage. L'immense déception d'avoir été accueilli comme des parias en Sarthe. Notre désir irrépressible de fuir Auvers le Hamon aussi tôt que faisable. Notre espoir de dénicher rapidement une maison ou un appartement qui correspondrait à nos nécessités médicales et à nos choix de vie. Notre vœu que ce domicile soit, au moins, aussi spacieux que celui que nous louions à Valognes ; dans le meilleur des cas, qu'il soit assorti de cette pièce supplémentaire qui nous est indispensable pour y déambuler correctement. De même, nous avons discuté de ce que nous voulions à l'avenir, et surtout, de ce que nous ne voulions plus. Vanessa m'a confiée qu'à l'issue de ce nouveau déménagement, elle adorerait que nous adoptions un chien à la SPA. Je lui ai répondu : « Pourquoi pas ? ». S'il n'y a que ça pour qu'elle soit heureuse et épanouie, ce n'est pas moi qui vais m'y opposer. Et tant pis si je suis obligé d'assumer les corvées qui procèdent de l'arrivée de ce compagnon à quatre pattes dans nos existences. Car, l'essentiel n'est-il pas que nous nous établissions dans un endroit qui nous ressemble ? Un endroit où nous serions à l'abri de ces péripéties qui nous ont mis à genoux depuis que nous avons quitté la Manche parce que liées à notre statut d'êtres humains singuliers ?

 

Je vais conclure cette lettre en vous avouant quelque chose : je vais en expédier un exemplaire à l'ensemble des correspondants que notre situation, à Vanessa et à moi, préoccupe. Je vais également en envoyer un exemplaire à la Présidence de la République, à notre Première Ministre, au Ministre des Solidarités et de la Santé, au Député de notre circonscription, que sais-je encore. Je vais en envoyer un aux médias susceptibles d'être touchés par ce à quoi nous sommes confrontés ; journaux papiers, radios, télévision, peu importe, en vérité. Je n'oublie pas, non plus, les associations d'aide aux personnes handicapées, les études notariales et les agences immobilières à même de nous accompagner dans notre recherche d'un logement plus adéquat.

Dans le but de trouver un pied-à-terre qui nous convient, je ne négligerai aucun organe de diffusion. J'insiste : je suis résolu à offrir à Vanessa un cadre de vie où, tous deux, nous pourrons habiter paisiblement ; à l'écart de cette agitation qui nous a tellement fait de mal. J'insiste : mon intention n'est pas de faire un barouf du tonnerre. Si j'entreprends cette démarche, c'est parce que les options qu'on nous propose via les canaux officiels sont extrêmement restreints.

Sincèrement, j'aurai préféré que notre installation en Sarthe se déroule sans accroc. J'aurai préféré que que nous soyons entourés de personnes qui s'inquiètent de notre bien-être. J'aurai préféré qu'elles nous aient assisté dans l'aménagement de notre maison, par exemple. Et pas sporadiquement et pas à la saint glinglin, évidemment. J'aurai préféré que des hommes et des femmes assez ouverts d'esprit pour tenir compte de nos spécificités et de nos infirmités, pour qu'ils ne se détournent pas de nous à peine nos valises posées. Sans succès !

Et dès lors, je m'en veux terriblement d'avoir exposé Vanessa aux déconvenues dont nous subissons sans discontinuer les effets pervers. J'en veux résolument à tous ces interlocuteurs(trices) de nous avoir abandonnés, sachant que nous étions – que nous sommes – traumatisés par ce que nous endurons depuis fin mai. Je les plains de ne pas se figurer le mal qu'ils nous infligent. Je déplore leur détachement, leur manque d'objectivité et de sensibilité envers les cris de douleur et envers les S.O.S. que nous avons exprimé périodiquement. Oui, c'est pitié que d'être si dénués de grandeur d'âme et de générosité de cœur envers les personnes fragiles et vulnérables que nous sommes.

Ce n'est pas tolérable. C'est se moquer de nous. C'est à se demander à quoi servent les structures dont ces intervenants sont les représentants ! C'est nous enfoncer la tête sous l'eau alors que nous sommes en train de couler. C'est nous condamner à nous débrouiller seuls alors que nous en sommes incapables. C'est nous isoler davantage alors que nous le sommes déjà énormément. C'est nous prendre pour des imbéciles, alors que je me suis efforcé, en mon nom et au nom de Vanessa, de frapper à toutes les portes auxquelles nous pouvions prétendre. C'est nous rabaisser et nous humilier lorsqu'assistantes sociales, lorsqu'administrations, lorsqu'institutions diverses et variées sous-évaluent les dommages auxquels ils nous soumettent inévitablement.

On ambitionnerait de se débarrasser de nous, du fardeau que nous sommes, du problème que nous posons, que l'on n'agirait pas autrement !

De fait, je souhaite plus que tout au monde que cet appel « Au secours!!! » soit lu, soit intégré, et soit répercuté. Je souhaite plus que tout au monde que ces intervenants qui sont censés défendre nos intérêts s'y engagent concrètement. Jusqu'à présent, à les écouter, ils se sont surtout évertué à nous répéter que nous n'avions pas grand-chose à espérer de leurs actions. Ils nous ont sans cesse découragé en nous affirmant que leurs perspectives étaient réduites, voire quasi-inexistantes.

J'espère dès lors que, malgré le monceau d'autres dossiers s'accumulant au sein de ces administrations ou de ces institutions, cette missive les sortira de leur apathie et de leur résignation endémique. J'espère que ces individus n'ignorent pas qu'ils exacerbent nos inquiétudes, notre mal-être, notre sentiment de solitude immodérée, à Vanessa et à moi. Avec les conséquences fâcheuses sur notre état de santé qui s'en dégagent immanquablement.

Nos revendications sont légitimes et raisonnables. Elles ne sont pas insurmontables, et pourtant, nous avons l'impression d'être des mendiants qui quémandons l’aumône. Nous implorons, comme si nos doléances, leurs locuteurs y étaient sourds. Comme s'ils nous considéraient comme des êtres humains de seconde zone.

Nous n'avons qu'un but : vivre décemment. C'est d'occuper un lieu assez vaste pour que nous puissions y organiser notre environnement convenablement. Et même, confortablement. C'est de pouvoir y mettre nos meubles, nos tableaux, nos livres, nos DVD, comme n'importe qui s'y emploie chez lui. Pourquoi, parce que nous sommes différents, ça nous serait refusé.

Il y a un terme pour ça : « discrimination ». Ce refus de nous accorder ce que nous sollicitons, c'est de la ségrégation. Qui-plus-est, c'est une absence flagrante de respect de notre différence. Alors que nous sommes nés différents, nous ne l'avons pas convoitée, cette différence, chacun et chacune y contribue. Au travers des décisions qu'il envisage « pour notre bien, naturellement », chacun et chacune nous fait entrer dans de belles petites cases qui s'appliquent à des critères à cent-milles lieues de nos besoins et de nos volontés. Ce que nous disons n'a aucune résonance.

Pire : nous déployons tous les efforts dont nous sommes capables pour dépasser les obstacles qu'on nous impose, mais ce n'est jamais suffisant. Nous formulons un unique vœu, et tout est fait pour qu'il se retrouve hors de notre portée. On me dit que, « pour aller mieux », je dois suivre des séances de psychothérapie au Centre Médico-psychologique de Sablé. Peu importe si j'ai progressé sur ce sujet lors de mon séjour au Bailleul. Néanmoins, je m'y conforme. Or, ce sont quatre psychologues qui se sont succédés à mon chevet depuis le mois de septembre. De qui se moque-t-on ! Au mois de juin, j'ai contacté un journaliste de l'antenne locale de Ouest-France pour tenter de tirer la sonnette d'alarme. Il s'en est lavé les mains. Son objection : « Mon pauvre monsieur, des histoires comme la votre, j'en entends à longueur de journée. Si je devais écrire un papier à chaque fois, je ne ferais plus que ça. Et puis, je n'ai que votre version ! ». Je lui ai alors rétorqué que je cherchais juste à témoigner afin d'éviter qu'un drame ne se produise. Ses dénégations ont été catégoriques, et le drame s'est quand même produit.

Des observations purement bureaucratiques freinent n'importe laquelle de nos initiatives des quatre fers. Des procédés équivalents ont été utilisés par presque tous les gens avec lesquels nous avons conféré depuis que nous sommes en Sarthe. Pour autant, si les enchaînements de circonstances actuels nous entraînaient aux portes de la mort, je gage que tout ce petit monde se démènerait aussitôt pour accéder à nos aspirations. Un logement ? Dans la semaine, on nous en dégoterait un adapté à nos desideratas ! Des aides pour déménager, puis pour emménager, elles nous seraient octroyées quasi-instantanément !

Uniquement parce que notre cas deviendrait l'enjeu de débats médiatico-politiques, nous serions ainsi l'objet de toutes les attentions. Nos organismes de tutelle s'attacheraient à justifier leurs stipulations ; Vanessa et moi serions en butte à toutes leurs prévenances… avant de retomber dans les oubliettes de l'actualité au premier soubresauts de la conjoncture nationale ou internationale. Car, lorsqu'il y a une nouvelle plus terrible à annoncer, lorsqu'il y a une affaire plus croustillante à dévoiler ! Forcément !

J'espère de tout cœur que, ni Vanessa, ni moi, en n'arriverons à de telles extrémités, et que les destinataires de cette lettre comprendront le message empli de désespoir qu'elle essaye de leur faire passer…

 

Sincèrement votre.

 

 

Dominique Capo

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