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Mes Univers
8 décembre 2022

Texte personnel du 08/12/2022 :

X1

Je me demande pourquoi j'écris cet énième appel au secours, alors que personne ne m'entends, et surtout, personne ne m'écoute. J'ai beau pleurer, il n'y a personne pour sécher mes larmes ; même pas ma famille, qui se fout royalement que je sois en train de couler du moment que je lui fiche la paix avec mes soucis. J'ai beau me démener pour tenter de ne pas couler, je n'y réussis pas. C'est même de pire en pire à chaque jour qui passe. Et on me répond :

 

« Il faut attendre ! nous n'avons pas les effectifs nécessaires pour vous aider ; ce n'est pas dans nos attributions de vous soulager de vos peurs et de vos tourments. Et puis, les fêtes de fin d'année approchent. Les gens vont être en congés, etc. Toujours les mêmes rengaines que l'on me répète depuis des mois, évidemment ».

 

Or, je n'en peux plus. Chaque geste que j'effectue est épuisant. Chaque initiative que je prends pour essayer de me sortir de l'impasse se conclue par un échec. De plus, je suis seul, je suis terrorisé. Je suis l'objet de crises d'angoisses qui me poussent à avoir des idées suicidaires parfois. Entendons-nous bien, cependant : je n'ai pas envie de mourir – j'ai encore tant de projets à mener à terme, tant d'articles et tant de textes divers et variés à écrire et à faire publier -, mais je n'en puis plus de cette vie-là.

 

Cette vie-là est un véritable parcours du combattant. Chaque jour qui s'écoule est une épreuve en soi. Chaque tâche à accomplir, et je suis perdu, désespéré, anéanti face à ce qui est exigé de moi. Ces derniers mois, je me suis tourné vers d'innombrables personnes susceptibles de m'épauler, de me soulager de ce poids qui pèse sur mes épaules et qui m’empêche de voir le bout du tunnel. Oh, il y a eu des assistantes sociales, des psychologues, des médecins, le maire de ma commune, ainsi que son ajointe aux affaires sociales.

 

Toutefois, qu'en a-t-il résulté ? Bien-sûr, un nouvel appartement plus adapté à nos besoins et à nos désirs, à ma compagne Vanessa et à moi, nous l'avons obtenu. Il a fallu batailler dur ; néanmoins, normalement, c'est fait. Pour autant, est-ce suffisant ? Non, en vérité ; loin de là. Beaucoup de questions, beaucoup de difficultés, beaucoup d'obstacles, se présentent à nous, désormais. Beaucoup de terreurs, beaucoup d'anxiétés, pareillement. Car, comment faire comprendre à toutes ces personnes que j'ai BESOIN d'être pris par la main pour surmonter tout ce qui nous attend ? Comment leur faire admettre que je n'y arriverais pas si on me demande de tout endosser ; d'effectuer toutes ces démarches qui me détruisent, qui sont autant de violences qu'il m'est impossible de supporter.

 

Oui, chacune de celles-ci – et de toutes les autres, en vérité -, me lacèrent l'âme à un point que nul ne peut imaginer. Un exemple tout simple : Vanessa, ma compagne, est actuellement hospitalisée. Après un mois passé aux Capucins, à Angers, dans un centre de kinésithérapie intensive, elle est revenue au Bailleul, le centre hospitalier rattaché au secteur de Sablé sur Sarthe. En effet, le petit village d'Auvers le Hamon, où nous habitons pour l'instant, se situe à une dizaine de kilomètres de cette ville de taille moyenne. Eh bien, parfois, juste pour l'avoir au téléphone, c'est un vrai cauchemar. Les aide-soignants qui s'occupent d'elle oublient de lui déposer le combiné à portée de la main afin qu'elle puisse l'attraper facilement. Des fois, il y a des grésillements sur la lignes ; des bugs qui font que je l'entends, mais que de très loin. Elle est alors contrainte de déplacer son téléphone légèrement – mais pas trop pour que ça ne soit pas encore pire -, afin que nous puissions converser normalement.

 

Je vais également la visiter tous les deux jours en moyenne. Grace à un service de déplacement destiné aux personnes qui, comme moi, n'ont pas de moyen de locomotion, je suis pris presque à coté de chez moi, déposé à l'entrée du Bailleul. Deux heures plus tard, à peu près, retour chez moi par le même procédé.

 

D'ailleurs, pensez-vous que ma maman, qui habite pourtant dans une maison mitoyenne à la notre, m'y conduirait. Non ! Ce que je vis actuellement, ce n'est pas son problème ! Je suis un adulte, et donc assez grand pour me débrouiller tout seul !, pour reprendre l'une de ses expressions favorites. Et puis, elle a ma grand-mère – sa propre maman – à gérer, ce qui « l'emmerde déjà assez, vu les contraintes que sa sénilité avancée lui impose. Par contre, ma grand-mère lui est utile, parce qu'elle paye beaucoup de choses du quotidien. Courses, essence, chauffage, etc., de fait, même si elle la malmène régulièrement, elle sait aussi la « chouchouter » tant qu'elle est susceptible de continuer à la financer.

 

Bref, tout ça pour dire que j'ai beau être malade et handicapé, vulnérable et fragile, elle m'a laissé tomber. Elle demeure froide et indifférente à ma détresse. « Vois ça avec ton psy ! », me répète-t-elle à l'envi, alors que les racines du mal dont je souffre – en grande partie, du moins -, sont dus à son comportement, et plus largement, dus à celui de ma famille à mon encontre depuis des années, voire des décennies. Tous ceux et toutes celles à qui j'explique ma situation vis-à-vis de ma famille le comprennent, et réalisent qu'en effet, son attitude est indigne de celle d'une mère. Ils m'expliquent que c'est là la cause de la plupart de mes tourments et de mes souffrances. Ils m'expliquent aussi qu'il s'agit là de maltraitance et de non-assistance à personne vulnérable en danger. La psychologue qui me suit, elle-même, a réalisé que j'en étais ni coupable ni responsable. Elle a bien souligné que c'est l'inconséquence de mon entourage, que c'était sa mise à l'écart systématique lorsque je cherchais à m'exprimer, qui était le moteur de mes déchirements.

 

Ma famille demeure imperméable aux aspects psychologiques de ces agissements sur mon état de santé. Elle ne se soucie que de son quotidien et de ses préoccupations « bassement » terre-à-terre. Tout ce qui relève des conséquences de ses agissements qui remontent loin dans le passé, ou qui relèvent de ses comportements plus récents, elle s'en déleste aisément. Elle les efface de sa mémoire ou en use pour les retourner contre moi ; et de la victime que je suis, j'en deviens le responsable et le coupable idéal. C'est tellement plus simple, c'est tellement plus facile, c'est tellement plus commode !

 

Pour en revenir à Vanessa : Vanessa est très malheureuse d'être séparée de moi depuis fin septembre. Lorsqu'elle était aux Capucins, à Angers, ma mère a bien daigné m'emmener la voir une fois. Et encore, il a fallu que j'insiste, et elle m'a fait comprendre que ça « empiétait » sur son emploi du temps.

 

Alors que Vanessa aurait été heureuse de la voir, elle a préféré attendre dans la voiture, plutôt que de la côtoyer. Soi-disant qu'elle ne souhaitait pas empiéter sur notre intimité. Je crois plutôt que ma mère n'apprécie pas d'entendre des vérités pour lesquelles elle est mise en cause. J'en ai eu des échos de la part de certaines personnes de la municipalité d'Auvers le Hamon qui m'ont confirmé des soupçons que j'avais déjà depuis longtemps. Seulement, voilà, ma mère – comme ma sœur, du reste – joue à celle qui n'entend et ne voit rien. Ça lui permet d'avoir la conscience tranquille et de pouvoir dormir tranquille sur ses deux oreilles.

 

Quand j'ai vu Vanessa aux Capucins, elle avait maigri de plusieurs kilos. Je m'en suis immédiatement aperçue. J'ai failli en pleurer, tellement ça m'a fait mal au cœur. Il faut avouer qu'aux Capucins, ses aide-soignants ne lui donnaient à manger que du « mixé », comme le détaille Vanessa. Parce que sa sclérose en plaques induit quelques problèmes de régurgitation, ils ont mis en place cette solution pratique et aisée à gérer. En fait, les problèmes de régurgitation de Vanessa sont très minimes, à ce que j'en constate au gré de l'évolution de sa maladie. Certes, de temps en temps, l'aliment qu'elle avale « passe par le mauvais trou » ; elle tousse un peu, boit pour le renvoyer dans la bonne direction. Non, ce qu'elle a besoin surtout, c'est de temps. Elle coupe ses aliments en petites bouchées afin d'éviter ce genre d'incidents. Elle met environ une heure pour terminer son repas, là où il faudrait que ça soit achevé en une demi-heure pour que les aides-soignants pour débarrasser les chambres au pas de course. Voilà la véritable raison du mixé qu'on lui a procuré. C'est à ce point vrai qu'au Bailleul, ce sont des repas conventionnels qui lui sont donnés. Ce qui veut parfaitement signifier que c'était davantage par commodité que vis-à-vis de ses problèmes de régurgitation.

 

Voilà aussi pourquoi elle a maigri. Et qui dit perte de poids, dit perte de masse musculaire. Et qui dit perte de masse musculaire, dit davantage de difficultés à récupérer son autonomie grâce aux exercices de kinésithérapie qui lui étaient assignés. Plus vite épuisée également. Mais ça, qui y songe ? C'est bête comme chou, pourtant. Il n'y a pas besoin d'être kiné ou ergothérapeute pour savoir que si un patient est moins bien nourri, son tonus et sa capacité à récupérer va s'en ressentir. Mais, qui s'en soucie. Ce n'est qu'un dossier parmi d'autres à traiter. On ne fait pas dans la nuance ; tout le monde est logé à la mème enseigne.

 

En début de semaine, quand je suis allé la visiter au Bailleul, elle en avait perdu quelques kilos supplémentaires. « Normal », elle ne bouge pas. Lors de son premier séjour au Bailleul, elle a bénéficié d'une séance de kiné de trente minutes tous les matins. C'est parce qu'elle avait besoin de séances plus intensives et plus longues que le Bailleul l'a envoyé aux Capucins pour un mois. Maintenant de retour au Bailleul, alors qu'il est vital qu'elle continue ses exercices physiques – pour ne pas perdre le peu qu'elle y a gagné – tout est interrompu. Le matin, on la lave sommairement. On lui fait « ses soins », comme ses aide-soignants appellent ça. Puis, soit, ils la remettent au lit, soit ils l’assoient dans un fauteuil près de son lit. Et ils l'abandonnent à son sort pour le reste de la journée.

 

Manque de personnel, surcharge de travail, patients plus prioritaires que Vanessa. Et Vanessa, abandonnée, désemparée, n'ose pas appuyer sur le bouton qui prévient les soignants quand elle a besoin d'aide parce qu'elle « a peur de se faire engueuler », pour reprendre ses mots. Car, s'ils ne l'ont jamais vraiment « engueulé », Vanessa est une femme d'une extrême sensibilité. Comme moi, au demeurant. Le moindre mot un peu brusque, la moindre remarque qui pourrait sembler anodine à n'importe qui, et ce sont les « grandes eaux ». Vanessa déverse aussitôt des flots de larmes parce qu'elle pense avoir mal agi.

 

Une réaction qui renvoie à l'époque où elle habitait toujours chez ses parents. Ceux-ci avaient une personnalité autoritaire – un peu comme ma mère et ma sœur avec moi - ; une personnalité castratrice, qui ne tolérait pas la moindre critique ou la moindre objection. Ils avaient « forcément » toujours raison, et comme l'affirmait son père régulièrement son père : « Mème quand j'ai tort, j'ai quand même raison. ». Comment voulez-vous discuter avec ce genre d'individu. Un genre d'individu qui, comme dans ma famille, rapporte tout à lui, où tout tourne autour de lui, de ses activités, de son travail, de ses projets, de ses certitudes, etc. Vanessa n'a jamais pu lutter ; elle n'a jamais pu faire entendre sa voix.

 

Alors, après que je l'ai connue et à partir du moment où nous avons été en couple, c'est moi qui ait été son porte-parole. Comme nul ne l'entendait, nul ne l'écoutait, et nul ne prenait en compte ses besoins, ses envies, ses désirs, ou ses aspirations, c'est moi qui les aient verbalisés. Et, comme ma famille avec moi, comme ça n'allait pas dans le sens de la « norme » de la majorité, sa famille s'est comporté avec elle comme si elle était invisible. Elle prenait des décisions importantes qui la concernaient sans la consulter ou sans lui demander son avis. Aux repas, elle était la portion congrue, celle qui n'avait jamais le droit à la parole. Et puis, ce qu'elle avait à dire n'intéressait personne.

 

Détail en sa défaveur : Vanessa étant victime d'une légère atrophie du cervelet depuis sa naissance – ce dont ses parents ne se sont jamais aperçus avant que je lui fasse rencontrer un neurologue -, elle bégaye et est plus lente. Aussi, l'écouter parler exige de l'attention et de la bienveillance. Quand elle est stressée, elle bégaye davantage encore ou mange certains de ses mots. Il est nécessaire de la rassurer, qu'elle se sente sécurisée et accompagnée. Je sais que, parfois, je vais plus vite qu'elle et que je lui coupe la parole pour terminer ses phrases. A contrario de ses parents cependant, elle sait pertinemment me « remettre à ma place » pour que je la laisse s'exprimer seule. Et dans ce cas, je me referme comme une huître le temps qu'elle échange de la manière qui lui convient le mieux. Elle ne craint aucune représailles ou aucune « engueulade » de ma part.

 

Voilà pourquoi, à l’hôpital, comme devant ses parents, et si je ne suis pas présent pour l'épauler, Vanessa préférera se taire et subir, plutôt que de risquer la remontrance. Voilà pourquoi, lorsqu'elle fait tomber la télécommande de sa télévision sur le sol, lorsque la nuit s'installe et que personne n'a allumé la lumière, elle préférera attendre que d'appeler à l'aide. Voilà pourquoi lorsqu'elle glisse de son fauteuil et qu'elle a besoin d'être redressée, ou que, dans son lit, elle est mal positionnée, elle préférera ne pas se manifester, « pour ne pas gêner » !

 

Mais ça, le personnel hospitalier, que ce soit celui des Capucins ou celui du Bailleul, il n'en tient pas compte. Il a « d'autres chats à fouetter », pour parler vulgairement. Si Vanessa ne s'exprime pas, pour lui, c'est que tout va bien. Alors que c'est exactement le contraire. Il est nécessaire d'interroger Vanessa, de « lui tirer les vers du nez », pour qu'elle ose avouer ce qui la chiffonne. Or, le personnel hospitalier n'a pas le temps. Tout ça, c'est accessoire, tandis que Vanessa le vit comme une souffrance intense, comme une détresse immense, comme un désespoir monstrueux. Toutefois, qui s'en soucie !

 

Enfin, si ce n'est le jour de son admission au Bailleul vendredi dernier, elle n'a vu aucun médecin. Ou, si elle en a rencontré ensuite, elle ne s'en souvient plus, et elle ne sait plus ce que celui-ci lui a dit. Vanessa a une « petite tète ». C'est là l'un des symptômes de sa sclérose en plaques conjugué à ceux de sa légère atrophie du cervelet. Elle ne sait pas quand elle sort du Bailleul. Elle ne sait pas dans quelles conditions son retour à domicile va s'effectuer. Ses médicaments, on les lui donne, mais elle ne sait pas quels ils sont et en quelle quantité.

 

J'ai bien essayé de téléphoner au bureau des infirmiers dont elle dépend, j'ai essayé d'atteindre l'assistante sociale qui est censé s'occuper de son cas. Évidemment, pour les atteindre, c'est impossible. Les uns et les autres sont tous occupés. Ils sont tous en rendez-vous. Ils ont tous des emplois du temps surchargés. Quand je laisse des messages aux secrétaires, ils ne rappellent pas. Quand je leur envoie des mails, ils ne répondent pas. Vanessa – et moi, par extension – est une laissée pour compte.

 

Elle a BESOIN d'une auxiliaire de vie quotidienne au moins deux fois par jour, mais les organismes qui sont censés y pourvoir la délaissent. Soit, ils clament que leur personnel n'a pas les compétences requises pour un cas comme le sien, soit une fois de plus, l'excuse du manque de personnel est mis en avant. Soit, on me répond que les fêtes de fin d'année approchant, c'est compliqué. Bref, tout est bon pour se délester du « paquet encombrant » sur quelqu'un d'autre.

 

Il lui faudrait également des séances de kiné à domicile au quotidien. Qui ? Comment ? Pas de réponse. Si elle est sensé sortir du Bailleul la semaine prochaine, elle va être lâchée dans la nature sans que quiconque se préoccupe de son sort. Je vais être seul avec les difficultés et les épreuves inhérentes aux symptômes de sa sclérose en plaques. Et je peux déjà vous décrire ce qui va advenir de nous dans les prochaines semaines :

 

L'état de santé de Vanessa va de nouveau se dégrader. Le peu d'autonomie qu'elle possédait du fait des heures de kiné qu'elle avait aux Capucins, va disparaître. Ses BESOINS les plus élémentaires, vont être négligés. Les miens, n'en parlons même pas ! Et comme cet été, mes nerfs vont être mis à rude épreuve. Je vais à nouveau être sujet à des crises d'angoisse phénoménales. Mon corps va me le faire ressentir par des épisodes de vomissements violents, ou par des apparitions de furoncles régulièrement. Je vais devoir me les charcuter pour les résorber. Quand Vanessa aura un problème, ma fragilité émotionnelle va être exacerbée. Cependant, tout sera de ma faute. Ce sera parce que « je craquerai nerveusement » que je ne m'y prendrais pas comme il faut. Comme d'habitude.

 

Je suis écrivain. J'ai BESOIN d'écrire. Ça m'est nécessaire pour recouvrer mon calme et ma sérénité. J'ai BESOIN de lire. Ça m'est indispensable pour mon équilibre personnel. Ça l'a toujours été. Or, depuis toujours, personne n'a pris en compte MES BESOINS. Tout ce que m'ont répété – ma famille, notamment -, c'est que la vie n'est constituée que d'épreuves, que de difficultés, que d'obstacles, que de défis à relever. C'est que tu ne doit rien attendre de personne ; que tu n'aura nul répit et nul repos ; que ce ne sont que des sacrifices à faire, que des humiliations et des rabaissements à endurer.

 

On m'a fait comprendre que mes ambitions littéraires, que mes projets livresques, tout ça, je pouvais le jeter à la poubelle au nom de la réalité de la « vraie » vie. On m'a encore fait comprendre que je n'aurai jamais l'opportunité de concentrer toute mon attention et tout mon labeur pour y arriver.

 

Oh, il y a beaucoup de personnes qui me disent que j'ai du talent. Ils me répètent que j'ai une culture phénoménale dans bien des domaines. Ils sont admiratifs devant mon aisance à retranscrire mes pensées, mes réflexions, mes émotions, mes imaginaires, sur papier. Oui, c'est vrai, mon talent est certain. Il y en a même que « j'ai un don » pour ça. Je jongle avec les mots et les idées comme d'autres savent transformer un morceau de bois en œuvre d'art ; comme d'autres savent construire une maison, aménager un jardin, gravir les échelons de l'entreprise dans laquelle ils travaillent, avec une facilité déconcertante.

 

Je suis conscient de tout cela. Et encore, ce à quoi je m'emploie au travers de textes tels que celui-ci, n'est rien comparé à ce dont je suis capable lorsque j'en ai l'opportunité et le temps. Oui, l'opportunité et le temps ! Cette opportunité de pouvoir me concentrer des heures, des jours, des semaines, des mois durant, sur un projet littéraire au terme duquel je souhaite parvenir. Un projet littéraire qui se casse inévitablement la gueule parce que la « réalité du quotidien », est pour moi une souffrance indescriptible, est un cauchemar de tous les instants. Ma mère, elle jouit de ça. Elle aime que cette réalité me rattrape et m’empêche de mener ces projets à terme ; parce que, pour elle, c'est cette réalité qui doit tout écraser.

 

Parce qu'elle aussi a été « empêchée » lorsqu'elle était jeune, de mener ses ambitions à terme, je dois suivre le même chemin qu'elle. En effet, c'est de ma faute, quelque part, puisque je suis né handicapé et malade, et qu'il a fallu en priorité s'occuper de moi. Parce que mon père, en bon Pied-Noir qu'il était, a voulu qu'elle soit une femme au foyer. Nous étions alors dans les années soixante-dix. Les mentalités étaient différentes. Elle s'est soumise à ses injonctions. Et quand elle a constaté que ma sœur avait trouvé sa vocation dans l'univers équestre – celui qu'elle adorait et qu'elle pratiquait depuis qu'elle était adolescente -, elle a trouvé là une porte de sortie à la vie étriquée que ses propres parents et que mon père lui faisaient mener. Alors, lorsque le terrible secret de mon père – son homosexualité refoulée et son mariage avec elle pour sauvegarder les apparences -, son autoritarisme et son orgueil de maîtresse femme n'ont plus connu de limites. Et j'ai payé le prix de « ma masculinité » au prix fort. Comme elle n'a pas pu s'y exercer sur mon père, c'est moi qu'elle a pris pour cible. Ma mère, ma sœur, ma grand-mère, cette triade à la fierté enfin recouvrée, en face de laquelle j'étais seul, désemparé, rabaissé. Et c'était normal ; naturel. Je devais payer. Et je dois encore le faire. Encore et toujours, au moindre prétexte, à la moindre occasion.

 

Aussi, quand Vanessa et moi sommes arrivés à Auvers le Hamon en espérant nous rapprocher d'elle, afin d'être à ses cotés pour les années qui lui restent à vivre, sa seule réaction a été : « Débrouille toi tout seul. Tu m'a demandé de t'aider pour trouver une maison, ce qui a, pour moi, été une corvée dont je me serais bien passée. Je t'en ai dégottée une, elle ne te conviens pas. Donc, maintenant, tu te démerde comme un grand ! ».

 

Pas de mea-culpa. Pas de « Désolé de t'avoir mis dans de tels embêtements et de telles complications. ». Pas de « Je vais t'aider à t'en sortir, je vais t'aider à surmonter cette épreuve que je t'ai imposée parce que j'ai mal jaugé vos besoins, parce que j'ai voulu me décharger de cette corvée. ». A chaque fois, elle m'a répondu : « C'est toi qui décide. ». Mais, avec en sous-entendu : « Je m'en lave les mains ; si ça ne fonctionne pas, je n'aurai rien à me reprocher. Même si c'est moi qui suis à l'origine de vos soucis en ayant fait de mauvais choix, ce n'est pas de ma responsabilité. Je n'ai pas à en culpabiliser ou a essayer de réparer mes erreurs. Laisse moi vivre ma vie. Ce n'est pas moi qui t'ai demandé de venir me rejoindre à Auvers. Et puis, avec ta grand-mère, c'est déjà assez pénible. »

 

Ce rapport dominant-dominé qu'elle affectionne particulièrement, elle l'exerce avec un plaisir non dissimulé. Cette discrimination, j'ai bien tenté plusieurs fois de lui ouvrir les yeux à ce sujet. Pourtant, drapé dans son orgueil et dans sa vanité de femme qui s'est débarrassé de tout ce qui l'encombrait et qui ne souhaite qu'une chose, c'est qu'on « lui foute la paix », son fils qui a BESOIN d'aide à un moment critique de son existence, elle s'en détourne sans remord ni regret.

 

Et que dire de ces services sociaux, à une ou deux exception près. Et je pense notamment à Monsieur Lamarre, qui nous a aidé à trouver cet appartement au Mans. Je pense également à mon ami de trente Olivier qui me téléphone chaque semaine et qui s'inquiète énormément pour moi et pour Vanessa ; je pense encore à Sandrine, dont je viens de faire la connaissance sur un groupe Facebook dédié aux victimes de cette terrible maladie qu'est la sclérose en plaques et a fait le forcing pour avoir de plus amples informations sur ce qui va advenir de Vanessa à l’hôpital. Et qui s'est enquit concernant sa prise en charge à domicile dans les prochains jours et les prochaines semaines. Ma mère aurait pu nous aider pour ce genre de démarches. Sauf que ça empiète sur sa tranquillité. Les liens filiaux, ça ne compte pas, puisqu'elle-même n'en n'a pas bénéficié ; enfin, pas de cette manière.

 

Oui, que dire de ces services sociaux, donc. Ils font la sourde oreille ou ne cessent de répéter que leurs moyens sont limités. Une autre façon de souligner « Trouvez des solutions tout seul. ». Quand on ne connaît personne d'autre qu'une famille absente et démissionnaire, c'est facile ! Quand on n'a ni amis ni connaissances, ni contacts. Quand on est dans un village où vous êtes isolés, sans moyens de vous déplacer. Quand vous êtes épuisé et terrorisé, que vous êtes à genoux moralement et psychologiquement, c'est simple, n'est-il pas vrai !

 

Alors, oui ! Je n'en peux plus de tout ça. Pire, je n'ai pas voulu tout ça ; ça m'a été imposé. Je n'ai pas mérité ce qu'il m'arrive, et Vanessa non plus, évidemment. L'un comme l'autre, nous avons trop souffert de ces circonstances et de ces personnes qui sont censé non épauler. De ces personnes qui sont censées être bienveillantes, attentives, avoir de l'empathie et de la compassion à notre égard. Des personnes qui nous font d'abord de belles promesses, qui vous disent : « Tu vas voir, tout vas bien se passer. ». Des personnes qui, finalement, transforment votre quotidien en cauchemar permanent.

 

Alors, oui, je suis au bout du rouleau. Oui, parfois, j'ai des idées sombres qui viennent me chatouiller l'esprit. Je pense que ma mère serait beaucoup plus heureuse si je n'étais plus là. En tout cas, si ce n'est pas le cas, elle fait tout son possible pour que je m'en convainque, au vu de ses agissements. Et puis, de toute manière, elle a sa fille chérie, son compagnon, et leurs enfants. Eux qui sont d'un milieu dans lequel elle se sent à l'aise, épanouie, heureuse. Eux qui sont de la « terre », bien ancrés dans la réalité de ce monde. Eux qui ne parlent que de choses banales, qui ne sont pas dotés d'une extrême sensibilité, qui ne sont pas des intellectuels, et qui n'ont pas de scrupules à écraser de leur présence, de leurs discours inconsistants, ceux qui n'appartiennent pas à leurs normes. Oui, elle serait plus heureuse si je n'étais plus là pour l'emmerder.

 

Voilà ! Moi espérais profiter de ma journée pour écrire un peu ; pour lire un peu. Une fois de plus, ce sont ces affres qui ont vampirisé toute mon énergie, tout mon temps, et toute ma volonté. Cette lettre – qui ne sera lue par personne ou presque -, m'a achevée. J'espérais pouvoir poursuivre la rédaction de mon projet littéraire du moment. Mais, une fois de plus, celui-ci sera certainement bientôt à jeter aux oubliettes ; emporté par toutes les épreuves qui se profilent à l'horizon. Et je n'aurai, une fois encore, que mes yeux pour pleurer ce désir de réussir là où j'ai toujours échoué...

 

 

 

 

Dominique Capo, le 08/12/2022, à 17h15

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