Jour de deuil, seconde partie :

Hier soir, comme énormément de monde, j'ai été foudroyé sur place. J'ai assisté à un événement effroyable dont jamais je n'aurais jamais pensé être le témoin.

J'ai 50 ans cette année. Tout le long de mon existence, j'ai vécu nombre d'épisodes de notre Histoire récente particulièrement marquants : la Révolution Islamique en Iran, les chocs pétroliers, le premier président de la République socialiste en France, Tchernobyl, la Cohabitation, la Chute du Mur de Berlin, l'effondrement de l'URSS, la Première Guerre du Golfe, le montée du Front Nationale, la construction Européenne, l'Euro, la coupe du monde 1998, Ariane, le TGV, le 11 Septembre 2001, l'Afghanistan, la Seconde Guerre du Golfe, Internet, les attentats islamistes partout en Europe du début des années 2000 à il y a peu de temps, le Printemps Arabe, Daesh, Obama, Poutine, Trump, Macron, les Gilets Jaunes...

J'en oublie. Cependant, tous ces événements, sont des pages de l'Histoire de notre nation, de notre continent, de notre civilisation, de notre monde. Ils m'ont marqué et ils me marquent encore profondément. Ils appartiennent à mon chemin de vie depuis que je suis né. Je me suis construis avec eux. Ils m'ont fait pleurer, ils m'ont rendu heureux. Ils m'ont fait peur, ils m'ont enthousiasmé.

Ce sont des éléments de notre Histoire. Et l'immense majorité des gens les oublient rapidement, parce qu'ils ne font la une de l'actualité que durant quelques heures, quelques jours, quelques semaines, quelques mois parfois. Ensuite, ils sont oubliés. Les gens passent à autre chose de plus immédiat, de plus important sur l'instant. Ils se préoccupent de leur quotidien, de leur travail, de leur famille, de leurs amis, etc. C'est normal, naturel ; c'est humain.

Cependant, exceptionnellement, il y a des instants qui vous frappent à jamais. Ils vous frappent parce qu'ils dépassent notre destinée individuelle ou collective. Le 11 Septembre, la Chute du Mur de Berlin, et quelques autres plus ou moins récents font partie de ceux-ci. Ils changent la face du monde pour toujours. Ils laissent leur empreinte sur la destinée de l'Humanité à jamais. Dans le futur, ils seront considérés comme des "marqueurs" indélébiles de ce qu'a été la Période actuelle. C'est ainsi...

Notre-Dame de Paris EST l'Histoire. Elle est de ces monuments qui ont traversé les siècles pour parvenir jusqu'à nous. Elle a vu les pages les plus glorieuses et les plus dramatiques de l'Histoire de notre nation s'écrire sous ses yeux. Pendant 800 ans, elle a été le témoin de ce qui nous a conduit là où nous en sommes aujourd'hui. Rois, empereurs présidents, ils sont tous passés ; elle seule est restée. La monarchie, les révolutions, les empires, les républiques, se sont cortégés, elle seule a subsisté.

Nous sommes tous mortels. Nous naissons, nous vivons, nous mourons. C'est la loi de la nature. Nous pouvons être riches ou pauvres, intelligents ou non, privilégiés ou non, en bonne santé ou malades, beau ou laid, etc., la finalité de nos existences est la même pour tous et toutes. Nous ne pouvons y échapper. La seule chose qui peut rester de nous, c'est ce que nous avons bâti, c'est ce que nous avons légué aux générations ultérieures. C'est avec cette idée magnifique, c'est dans ce but extraordinaire, que les bâtisseurs de cathédrales, telle que Notre-Dame de Paris, ont œuvré durant des décennies pour l'ériger. C'est parce qu'ils avaient conscience qu'eux-mêmes n'étaient que pour peu de temps ici-bas, qu'ils l'ont entretenu, restauré, embelli, siècle après siècle.

Les catholiques voient en elle un monument édifié à la gloire de Dieu, à la gloire de leur foi Chrétienne. Ce n'est pas faux. Ce n'est pas vrai non plus. Si des reliques liées aux dogmes auxquels ils sont attachés y étaient jusqu'à hier conservés, ces derniers sont avant-tout - selon moi - des vestiges inestimables de notre passé. Ils sont les racines sur lesquelles s'appuient notre nation pour se perpétuer au travers des ages. Notre-Dame de Paris en est le réceptacle. Elle en est également le témoignage vivant. Le seul qui demeure présent. Le seul qui subsiste au-delà des outrages du temps. Le seul qui dépasse les clivages religieux, politiques, philosophiques, idéologiques.

Notre-Dame de Paris, de plus, est un joyau architectural. Je me souviens encore avec une intense émotion la lecture des premiers chapitres du roman homonyme de Victor Hugo. Il y décrit minutieusement pendant des pages et des pages la majorité des détails de cette cathédrale. Ses sculptures, ses murs, ses vitraux, son autel, ses piliers, sa toiture, ses gargouilles, ses escaliers, etc. Quelle somptuosité.

Notre-Dame de Paris est un chef-d’œuvre de l'art gothique, que ce soit dans des domaines aussi variés que la sculpture, la verrerie, la menuiserie, le taillage de pierre, la peinture, etc. Les "compagnons" qui l'ont élevé existent toujours. Les métiers dont ils sont les protecteurs, les transmetteurs, ont, pour certains, étés spécialement inventés, pour qu'elle brille éternellement de tous ses feux. Notre-Dame de Paris est, pour cette raison donc, un monument construit par des hommes, pour des hommes. A la force de leurs bras, avec leur intelligence, leur ténacité, leur inventivité, elle est le symbole de leur génie.

Elle appartient au patrimoine de l'Humanité. Si elle est le cœur de Paris, de la France, si les habitants de notre pays la chérissent autant, c'est parce qu'elle symbolise, par ce qu'elle est simplement, ce que nous sommes, ce vers quoi nous tendons, ce qu'est notre patrie par delà nos différences, nos contradictions, nos particularités. Notre-Dame de Paris est la France, dans notre imaginaire à tous ; et dans l’imaginaire de ces millions d'étrangers qui viennent visiter notre pays chaque année.

Je remercie dès lors de toutes me forces les pompiers de Paris qui se sont battus pour éviter que le pire ne se produise. Pour éviter que le bâtiment tout entier ne parte en fumée. Ils ont usé de tout leur courage, de toute leur volonté, de toutes leurs capacités et possibilités, pour que les dégâts qu'elle a subi soient les moins "dantesques" possible. Personnellement, hier soir, à un moment donné, lorsqu'une information a filtré disant que toute Notre-Dame pourrait s'effondrer, je me suis mis à pleurer. J'en ai fais des cauchemars toute la nuit. Pour moi, c'était impensable, inimaginable. Notre Histoire, notre Patrimoine, notre fierté, disparaitre ainsi à tout jamais. C'était une souffrance, une terreur que je ne pouvais endurer.

J'ai été heureux que les pompiers de Paris aient fait leur maximum. Et j'honnis les hommes et les femmes qui, régulièrement, les caillassent quand ils viennent au secours de personnes qui ont besoin d'eux. Ces gens sont, non seulement des inconscients, mais, de plus, ils mettent en danger la vie de ceux et celles qu'ils servent avec ardeur ; dans des conditions extrêmes comme ça a été le cas hier. Les pompiers de Paris, et tous les autres en général, ont du mérite. Ne jamais l'oublier la prochaine fois que l'un d'entre vous sera tenté de les caillasser parce qu'ils "osent" pénétrer dans une cité pour aider quelqu'un en détresse.

Je les remercie de plus car moi qui aime l'Histoire, moi qui aime l'Art - quelle que soit la forme que prenne celui-ci -, moi qui aime ce que l'Homme peut créer de plus beau, de plus grand que lui, je ne pouvais accepter une telle conclusion. Comme je remercie tous ceux et toutes celles qui, dès hier soir, ont commencé à penser à sa réfection.

Je ne suis peut-être pas riche - loin de là -, mais je donnerais quelque chose pour aider à sa rénovation. Peut-être ne serai-je plus sur cette Terre le jour où elle retrouvera sa splendeur d'antan, mais ce n'est pas le plus important. Le plus important, pour moi, c'est que ce témoin de l'Histoire revive entièrement un jour. C'est que tout ce qu'elle incarne resplendisse à nouveau à la face du monde pour longtemps. Tant pis pour ceux et celles qui ne comprennent pas l'importance d'un tel monument. Je les plains plus qu'autre chose. Ce que je sais, moi, du plus profond de mon ^me et de mon cœur, c'est qu'elle me survivra. C'est là l'essentiel.

Et c'est parce que je sais cela, c'est parce que je sais que c'est ce que nous léguons à nos descendants, par tous les moyens qui sont à notre disposition, que j'écris. C'est dans cette même optique, avec ce même but, avec cette même ambition, de construire, de partager, d'offrir un peu de ce que je suis, de ce que j'ai en moi, que je rédige jour après jour textes et chroniques. Certains s'y emploient en bâtissant des cathédrales telles que Notre-Dame de Paris, d'autres en peignant des tableaux, d'autres encore, en composant des musiques, d'autres en se battant contre la maladie, la pauvreté, la tyrannie....

Moi, modestement, humblement, à mon petit niveau, c'est par mes écrits. Mais toujours avec en moi cette notion : je ne suis que de passage ici-bas. Et comme les bâtisseurs de Notre-Dame jadis, comme ceux qui vont la rénover demain, il est de mon devoir de laisser une preuve de ma présence sur cette Terre afin qu'ils sachent qui j'ai été et ce à quoi j'aspirais, à ceux qui vont me succéder...

Bien que je suis loin d'égaler son talent littéraire, je dédie cet article à Victor Hugo

Dominique Capo