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13 juin 2019

Le 13 Juin 1929

X1

Ce n'étaient pas des comploteurs ordinaires, ces trois jeunes aviateurs qui rongeaient leur frein devant les hangars d'Orly, au début de 1929. L'année précédente, avec l'Oiseau-Canari, un avion Bernard, muni d'un moteur Hispano de 150 CV, ils avaient tenté la traversée de l'Atlantique Sud, mais avaient été contraints d'abandonner à la Corogne (Espagne). Depuis, ils étaient déterminés à tenter à nouveau l'aventure malgré une décision du ministre de l'Air, Laurent-Eynac, interdisant tous les raids. Rien ne pouvait empécher Jean Assolant, 25 ans, René Lefèvre, 26 ans, et Arnaud Lotti, 33 ans, de rééditer l'exploit de Lindbergh, et, puisque le départ était interdit de France, ils partiraient d'Amérique.

Sans rien dire, Assolant et Lefèvre décollaient d'Orly, un beau matin de mai, et se posaient deux heures plus tard, à Southampton. Le plus normalement du monde, Lefèvre s'embarqua pour l'Amérique sur le Leviathan avec l'Oiseau-Jaune démonté en deux parties. A Roosevelt Field, il remonta l'appareil, en attendant Assolant et Lotti, que des obligations professionnelles retenaient à Paris. Une fois ensemble, les trois amis trouvèrent préférable de partir de la plage d'Old Orchard, dans le Maine. Car cette plage, longue de trois kilomètres, permettait le décollage d'un avion chargé de 4000 litres d'essence.

« Le 13 Juin, raconte Lotti, nous plaçâmes sur le sable des planches pendant les premiers cent mètres, afin que l'avion ne s’enlisât point au départ. Et le plein d'essence fait, nous allâmes nous coucher. Mais, ne pouvant dormir, et en cachette d'Assolant et de Lefèvre, j'allai dans la nuit, je me demande encore pourquoi, vider cent litres d'essence, de crainte de ne pouvoir décoller tellement nous étions chargés. ».

Le lendemain, 14 juin, à quinze heures – heure française -, Assolant, aux commandes, lançait le moteur. L'avion roula, sans décoller. La plage diminuait devant les yeux de l'équipage de plus en plus inquiet. L'appareil était-il trop chargé ? Allait-il falloir renoncer encore une fois ? Devait-on jeter du lest ? Autant de rapides questions que se posaient ces hommes et tous ceux qui assistaient à leur départ. Pourront-ils décoller avant la digue qui fermait la plage ?

Assolant, aidé de Lefèvre, rirait désespérément sur le manche à balai et donnait le maximum de gaz. L'avion réagit, mais s'éleva à peine. La queue, trop lourde, touchait presque le sol. La digue fatale était à quelques dizaines de mètres – la digue, autant dire la mort – quand brusquement Assolant en sueur, arracha finalement l'avion du sol. Leur altitude était si basse qu'ils durent contourner une île, faute de pouvoir la survoler.

Le mystère s'éclaircit quand un intrus sortit du bout du fuselage et, s'avançant vers les trois amis atterrés, déclara :

« Je suis Arthur Schreiber. Américain, je veux traverser l'Atlantique avec vous. ».

Il s'était glissé dans l'avion pendant que Lotti vidait l'essence ; la fureur d'Assolant était telle qu'il voulut, d'abord, jeter le jeune homme de 20 ans à la mer. Devant les visages menaçants des trois hommes, le premier passager clandestin de l'histoire de l'aviation comprit la témérité de son entreprise. Et comme le dira Lefèvre :

« En se cachant dans la queue de l'appareil, cet homme constituait un véritable danger, non seulement par son poids supplémentaire, mais surtout parce qu'il pouvait abîmer, détériorer, ou casser, un des nombreux câbles de commande qui couraient, apparents, le long de l'intérieur du fuselage, et compromettre ainsi l'expédition. ».

Malgré le passager, Assolant décida de continuer. Premier but : survol de la Nouvelle-Écosse. Ils la survolèrent deux heures plus tard. Ensuite, l'Atlantique Nord et l'Irlande. Mais bientôt, Assolant constata qu'il ne pouvait pas dépasser les 2000 mètres : ses efforts étaient vains et toute son habileté ne pouvait rien contre la brume qui noyait l'appareil. De plus, un fort givrage gênait considérablement le fonctionnement des hélices. Il décida alors de prendre la route vers le sud, vers les Açores.

A la brume s'ajouta bientôt la tempête et l'Oiseau-Jaune, gémissant, résonnant de bruits de plus en plus inquiétants, tombait dans un trou d'air en descendant jusqu’à 300 mètres au-dessus de l'océan, pour remonter jusqu’à 1000 mètres. Véritable jeu de saute-mouton, que pratiquait Assolant avec une dextérité qui lui eussent enviée les acrobates les plus chevronnés. Les autres étaient arc-boutés dans la carlingue, et Schreiber, vert de peur, voyait arriver sa dernière heure. La nuit, la brume, la tempête, et l'océan. Le vide et le fracas continuel de l'appareil. Parfois Lefèvre pouvait, avec son sextant, mesurer la bonne direction de la route. Mais les étoiles étaient rares et les éclaircies encore plus. Toutefois, la moyenne de vitesse paraissait constante : aux environs de 195km/h.

Ils ne dormaient pas. Tendus, ils cherchaient dans la nuit une lumière qui ne venait pas. Lefèvre relayait Assolant. Par radio, ils entendaient les voix d'un navire, et ces conversations d'inconnus leur redonnaient du courage. Mais l'avion pourrait-il résister à la turbulence de la tempête ? Assolant, de nouveau aux commandes, était en sueur.

Lutter et continuer. Gagner des kilomètres. Voilà déjà dix heures qu'ils sont partis. La tempête s’arrêta à l'aube, au moment où ils survolaient les Açores, qu'il fut, du reste, impossible à discerner, tellement le temps était bouché.

Encore 1700 kilomètres et ils seront en Espagne, qu'il faudra atteindre avant le crépuscule. « Enfin, dira Lotti, le ciel s'éclaircissant, nous pûmes apercevoir, vers dix-neuf heures, les côtes d'Espagne, et les suivre jusqu’à la plage de Camillas, près de Santander, et nous poser dans la nuit qui tombait, à un mètre des falaises qui bordent la plage. Il nous restait à peine une demi-heure de vol. ».

Harassés, affamés, fiers, ils avaient établi le nouveau record de la plus grande traversée maritime, avec 5500 kilomètres en 29 heures et 20 minutes. Un journaliste français, en vacances, les vit arriver t fit le plus beau papier de sa vie. Le lendemain, la presse mondiale racontait leur aventure. A leur retour au Bourget, le ministre, sans rancune, les attendait et quand Raymond Poincaré, alors président du Conseil, les reçut il leur annonça qu'il leur décernait la Légion d'Honneur :

« ...Malgré leur jeunesse, en raison du caractère exceptionnel de leur exploit. ».

 

Extrait de « 1919 – 1939, la montée des Périls », une série d'articles sur l'Entre-Deux-Guerres. Retour prochainement à l'année 1919 – et les suivantes -, si celui-ci vous intéresse…

 

Dominique Capo

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